2ème DOSSIER DU MOIS de JUIN 2016
Parution des textes réglementaires définitifs sur la répartition des frais de chauffage : des obligations moins importantes que prévues
Comme nous vous l’annoncions dès mardi (« Les décrets et arrêtés sur le répartiteur de frais de chaleur et sur les travaux embarqués sont publiés », le décret et l’arrêté d’application définitifs concernant l’obligation d’individualiser les frais de chauffage collectif viennent d’être publiés :
- Décret n° 2016-710 du 30 mai 2016 relatif à la détermination individuelle de la quantité de chaleur consommée et à la répartition des frais de chauffage dans les immeubles collectifs ;
- Arrêté du 30 mai 2016 relatif à la répartition des frais de chauffage dans les immeubles collectifs.
La situation est donc à présent clarifiée. L’attente pour savoir si l’obligation de répartir les frais de chauffage serait généralisée, et à quelles conditions, a suscité depuis plusieurs mois un émoi très fort auprès des copropriétaires : nous avons ainsi reçu un nombre impressionnant d’appels sur ce sujet depuis janvier, les copropriétaires s’inquiétant de savoir s’ils seraient concernés par l’obligation et des conséquences financières qu’elle entraînerait.
Dans ce dossier, après quelques rappels (I) nous faisons donc le point de manière détaillée sur ces nouvelles dispositions (II), puis nous en profitons pour répondre à un certain nombre de questions (III), et enfin nous faisons part de nos propositions (IV) suite à cette nouvelle réglementation.
I.Rappels des débats autour de l’obligation d’individualiser les frais de chauffage
Il faut rappeler que la situation a été particulièrement confuse pendant la longue attente entre la parution de la loi et la promulgation des décrets.
Cette confusion a été savamment entretenue par le lobby de l’individualisation (représenté par le Syndicat de la Mesure), ainsi que, il faut bien le dire, par le silence voire la complaisance de certains syndics (voir www.arc-copro.com/ukeh).
Cela a eu pour effet d’engager de nombreuses copropriétés dans des décisions précipitées et inadaptées ce qui va certainement entraîner de graves conséquences :
- De nombreuses dérives ont eu lieu quant aux résolutions présentées en Assemblée Générale et aux majorités de vote afin de « forcer la main » aux copropriétaires pour approuver la pose de ces équipements (sur les modalités de vote adaptées, voir : www.arc-copro.com/5wsn)
- De très nombreuses copropriétés ont ainsi voté l’individualisation des frais de chauffage contre leur gré sous prétexte d’une obligation dont les contours n’étaient pourtant pas encore connus.
- L’immense majorité des copropriétés qui a voté l’installation de répartiteurs cette année n’a pas procédé aux travaux préalables indispensables (désembouage, équilibrage) ce qui va provoquer la casse de nombreux équipements et des surcoûts très importants dans les deux à trois années à venir.
Ces dérives ne sont pas à minimiser car la plupart des assemblées générales de 2016 a déjà eu lieu et la sortie très tardive des textes n’a pas permis de clarifier les choses à temps.
Certes, le débat a été largement pollué par les lobbys de l’individualisation, qui n’hésitent pas – pour promouvoir des systèmes pourtant globalement peu rentables – à communiquer massivement, même dans les contextes les plus improbables (voir : « Fête des voisins : ISTA n’est pas à une contradiction près »).
Le ministère n’a cependant pas cédé au poids de la communication du Syndicat de le Mesure, la Ministre dénonçant même la « puissance des lobbys » lors d’un récent reportage (« Climat : le grand bluff des multinationales » diffusé le 24 mai en première partie de soirée sur France 2).
Le débat autour de l’obligation d’individualisation a toutefois eu pour vertu d’amener la quasi-totalité des acteurs concernés (représentants des copropriétaires, bailleurs sociaux, représentants des locataires, bureaux d’études thermiques reconnus et commissions consultatives officielles) à se positionner sur le sujet.
Chacun a ainsi pu faire remonter, à partir de cas concrets et d’études, que derrière l’idée séduisante, se cache en réalité une mesure particulièrement injuste, inutilement coûteuse et contre-productive en matière d’économies d’énergie.
Il semble bien que ces remontées de terrain ont amené le Ministère à élaborer un texte plus consensuel, qui permet d’une part d’étaler dans le temps l’obligation, et d’autre part de ne rendre obligatoire l’individualisation qu’avec les dispositifs les plus fiables, comme l’ARC l’avait soutenu à l’époque (voir notamment notre communiqué de presse de février 2016 : www.arc-copro.com/kxeq).
On imagine bien sûr la déception du lobby de l’individualisation, qui n’aura cependant pas trop de difficulté à se consoler suite à la quantité gargantuesque de contrats souscrits par les copropriétés depuis presque un an. Le chiffre d’affaires des professionnels va probablement très bien se porter cette année ! Le Syndicat de la Mesure a d’ailleurs fait part de sa satisfaction suite à la publication des textes.
II.Qui est concerné par l’obligation d’individualiser les frais de chauffage ?
1. Les cas d’exonération pour impossibilité technique
Précisons tout d’abord que l’individualisation n’est évidemment pas obligatoire en cas d’impossibilité technique. Selon l’arrêté du 27 août 2012, les immeubles dans lesquels il est techniquement impossible de mesurer la chaleur consommée par chaque local sont notamment ceux pour lesquels :
- l'émission de chaleur se fait par dalle chauffante sans mesure possible par local ;
- l'installation de chauffage est équipée d'émetteurs de chaleur montés en série (monotubes en série) ;
- l'installation de chauffage est constituée de systèmes de chauffage à air chaud ;
- l'installation de chauffage est équipée d'émetteurs fonctionnant à la vapeur ;
- l'installation de chauffage est équipée de batteries ou de tubes à ailettes, de convecteurs à eau chaude, ou de ventilo-convecteurs dès lors que chaque local ne dispose pas de boucle individuelle de chauffage.
Si vous pensez être dans un de ces cas de figure, vérifiez-le auprès de votre chauffagiste.
2. La notion de « quantité de chaleur »
Le nouveau décret contraint uniquement à poser des appareils de mesure déterminant « la quantité de chaleur fournie à chaque local occupé à titre privatif », ce que seuls permettent les « compteurs d’énergie thermique ». Mais comme ces compteurs d’énergie thermique ne peuvent être installés que sur des réseaux de distribution de chauffage dits « horizontaux » (voir schéma n°1 ci-dessous) assez peu répandus en copropriété, une minorité d’immeubles est donc concernée par l’obligation d’individualiser les frais de chauffage.
En effet, la majorité des immeubles possède une distribution du chauffage « verticale » (voir schéma n°2 ci-dessous), configuration qui permet seulement d’installer des répartiteurs de frais de chauffage. Or les répartiteurs ne mesurent pas une « quantité de chaleur », mais simplement une température ponctuelle, ils ne sont donc pas visés par cette obligation. La majorité des copropriétés a donc le choix d’individualiser ou non les frais de chauffage.
Rappelons qu’une « quantité de chaleur » est une notion de physique qui a un sens précis, défini en droit français par le décret n°61-501 du 3 mai 1961. Ce décret se base sur le « Système international d'unités » (SI) qui a été officiellement adopté en 1960. C’est le système d’unités reconnu par les scientifiques qui est le plus largement employé au monde. L’unité officielle de la quantité de chaleur est le Joule, dont le kWh est l’unité-équivalente la plus utilisée.
3. Les compteurs d’énergie thermique
Ce sont les normes de la série NF EN 1434 – conformes aux normes européennes sur le sujet – qui s’appliquent aux compteurs d’énergie thermique. La norme précitée définit les compteurs d’énergie thermique comme des instruments destinés à mesurer l'énergie thermique et rappelle qu’ils fournissent la quantité mesurée en unités SI.
Un compteur d’énergie thermique s’installe sur des réseaux horizontaux, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’une entrée de chauffage par logement et donc une seule « boucle de chauffage » par logement :
Schéma n°1 : réseau horizontal avec emplacement des compteurs d’énergie thermique (cercles noirs) et exemple de compteur d’énergie thermique
Un compteur d’énergie thermique est composé de deux sondes de températures (l’une mesure la température de l’eau qui entre dans le logement, et l’autre celle qui sort), ainsi que d’un débitmètre qui mesure le débit qui passe dans l’installation de chauffage du logement.
Le compteur d’énergie mesure ainsi la quantité de chaleur délivrée dans le logement d’une manière techniquement indiscutable.
4.Les répartiteurs
C’est la norme NF EN 834 de septembre 2013 (conformes aux normes européennes) qui s’applique aux répartiteurs.
Un répartiteur mesure la température ponctuelle des radiateurs et suite à de nombreuses extrapolations, il estime la répartition des charges de chauffage entre logements. Le résultat de ces petites « boîtes noires » est généralement très imprécis du fait à la fois de toutes ces extrapolations, et de l’écart important entre les hypothèses de ces calculs et la réalité du fonctionnement d’une installation de chauffage.
Contrairement aux compteurs d’énergie thermique, les répartiteurs de frais de chauffage ne permettent pas « de déterminer la consommation de chaleur particulière de chaque corps de chauffe » (c’est-à-dire de chaque radiateur), et ils n’ont « aucune unité d’énergie physique », ainsi que le rappelle la norme NF EN 834.
De plus, contrairement aux compteurs d’énergie thermique, ils ne tiennent pas compte de la chaleur apportée par les canalisations de chauffage situées à l’intérieur des logements. Or cette chaleur, non mesurée par le répartiteur, est souvent non négligeable, et suffit parfois à chauffer un logement, alors que les radiateurs sont coupés (et que les répartiteurs sont donc à « zéro »).
En conclusion, les répartiteurs ne permettent pas de mesurer la quantité de chaleur fournie à chaque logement par le chauffage collectif.
Schéma n°2 : réseau vertical avec emplacement des répartiteurs (points noirs) et exemple de répartiteur
5. Les délais d’installation pour les immeubles concernés
Pour les immeubles dont la configuration correspond au schéma n°1, l’obligation d’installer des compteurs d’énergie s’imposera à partir des échéances suivantes :
- Si la consommation en chauffage de l’immeuble est supérieure à 150 kWh /m²SHAB /an, la date de mise en service doit avoir lieu au plus tard le 31 mars 2017 ;
- Si la consommation en chauffage de l’immeuble est comprise entre 120 kWh /m²SHAB /an et 150 kWh /m²SHAB /an, la date de mise en service doit avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2017 ;
- Si la consommation en chauffage de l’immeuble est inférieure à 120 kWh /m²SHAB /an, la date de mise en service doit avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2019.
Pour savoir comment calculer votre consommation de chauffage, vous pouvez vous reporter à la méthode de calcul présentée dans notre guide sur les répartiteurs (en cours de mise à jour suite aux nouvelles dispositions règlementaires).
6. Quels sont vos conseils pour les copropriétés qui sont soumises à l’obligation ?
- Procéder à un désembouage curatif si nécessaire, et préventif des installations de chauffage.
- Procéder à un équilibrage des installations de chauffage.
- Négocier le contrat : nous venons d’éplucher un contrat d’ISTA, et y avons détecté de nombreuses et graves anomalies. Nous vous en ferons part très rapidement.
7. Que faire si l’on vient de voter cette année l’individualisation des frais de chauffage alors que nous ne sommes finalement pas soumis à cette obligation ?
Le plus simple est que le conseil syndical demande par lettre avec recommandé avec accusé de réception (LRAR) à son syndic de stopper les démarches engagées, et de remettre la question à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale.
III. Réponses aux questions
1. Les nouvelles réglementations sont-elles sujettes à interprétation ?
Certains professionnels continuent – malgré les textes publiés – à laisser penser que l’obligation d’individualisation concerne à la fois les compteurs d’énergie et les répartiteurs.
Ce n’est absolument pas le cas : comme nous vous l’avons expliqué au point II., la notion de « quantité de chaleur » est une notion qui a un sens très précis et qui ne porte pas à interprétation.
Si cela était nécessaire, bien d’autres éléments confirment cette limitation de l’obligation :
- le décret a lui-même été renommé et reprend la formulation de « quantité de chaleur consommée » ;
- il est tout à fait logique que l’obligation règlementaire ne concerne que les dispositifs les plus fiables (à savoir les compteurs d’énergie thermique) ;
- la règlementation définitive est au final presque conforme à que défendait la rapporteur de ces projets de textes, la Députée Sabine Buis, lors du débat parlementaire : « ce sera à la copropriété elle-même de décider in fine si elle entend ou non engager la dépense. Les seuls travaux réalisés seront donc ceux que les copropriétaires auront approuvés. Il n’y a aucun risque de voir les budgets des copropriétés, notamment les plus modestes, grevés de dépenses obligatoires supplémentaires. » (séance de l’Assemblée Nationale du mercredi 20 mai 2015).
2. Mais pourquoi l’ARC est-elle opposée à l’individualisation des frais de chauffage ?
Attention, nous tenons à préciser que l’ARC n’est pas contre l’individualisation des frais de chauffage, mais l’ARC est contre le fait de rendre obligatoire ce système. Nous estimons que ce système est injuste, coûteux, et inefficace http://arc-copro.fr/documentation/communique-de-presse-et-dossier-complet-larc-et-lush-reagissent-au-projet-de, comme nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises.
3. L’ARC est-il un lobby comme le Syndicat de la Mesure (le lobby de l’individualisation) ?
Non, contrairement au Syndicat de la Mesure, l’ARC n’a aucun intérêt économique en lien avec l’individualisation des frais de chauffage.
L’ARC est une association indépendante, tant des pouvoirs publics ou collectivités territoriales que des professionnels, syndicats, partis politiques. Elle ne touche aucune subvention et vit des cotisations et services rendus à ses adhérents : http://arc-copro.fr/arc-unarc.
Rien à voir donc avec le Syndicat de la mesure, dont le premier objet, est selon ses propres statuts « d’assurer l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et moraux » de ses membres. Pas un mot sur le développement durable ou la transition énergétique, malgré leur communication très axée sur ces sujets. Vous avez dit « greenwashing » ?
Il est donc important de bien contextualiser les propos et les arguments de chacun face aux objectifs défendus.
4. Pourquoi l’ARC est-elle si critique vis-à-vis des prestataires du comptage ?
Nous n’avons évidemment rien contre les sociétés de comptage. Nous faisons simplement part des retours de terrain dont nous avons connaissance, et dénonçons abus et tromperies quand nous les voyons. Comme pour tout type de prestataires.
IV. Quelle va être à présent l’action de l’ARC ?
1. Les points qui restent problématiques
L’ARC va bien sûr continuer à travailler sur ce dossier, qui pose encore de nombreuses questions sensibles. Nous pensons en effet :
- que toutes les copropriétés devraient avoir la liberté d’individualiser ou non leurs frais de chauffage (sauf éventuellement les copropriétés les plus consommatrices de chauffage n’ayant engagé aucune autre action) ;
- que l’individualisation des frais de chauffage ne doit pas être réalisée sans travaux préalables (désembouage et équilibrage du réseau) ;
- que l’individualisation des frais de chauffage ne devrait être obligatoire qu’après un audit complet de la copropriété, et seulement si ce dernier fait la preuve de la supériorité de l’individualisation sur les autres solutions ; les copropriétaires ayant en effet des capacités d’investissement limitées, il est effectivement important de les orienter vers les solutions les plus pertinentes.
2. Nos propositions
L’ARC réitère ses propositions pour rendre plus pertinente et plus équitable l’individualisation des frais de chauffage :
- Réaliser une étude sérieuse, transparente et indépendante pour déterminer :
- la fiabilité technique des dispositifs d’individualisation de frais de chaleur ;
- et, si ces dispositifs font la preuve de leur fiabilité, d’étudier les coûts et bénéfices de l’individualisation des frais de chauffage afin d’adapter les mesures législatives et règlementaires en conséquence ;
- instaurer dans les contrats d’individualisation des frais de chauffage une clause obligatoire de garantie d’économies d’énergie, qui pourrait être fixée à 20%, conformément aux assertions du Syndicat de la Mesure sur les économies annoncées.
3. Les prochaines actions de l’ARC
Très concrètement, voici nos prochaines actions :
- D’aider nos adhérents à négocier un bon désembouage et un bon équilibrage de leurs installations et un bon contrat d’individualisation. Nous reviendrons prochainement sur ce sujet suite aux très nombreuses anomalies que nous avons détecté dans les propositions d’ISTA.
- De continuer à alerter nos adhérents quant aux problèmes d’individualisation rencontrés par ceux qui en « bénéficient ».
- De mettre à jour notre guide sur l’individualisation des frais de chauffage suite à la parution des derniers textes réglementaires.
- Plus généralement, de continuer à travailler sur tous les sujets en vue de faciliter la rénovation énergétique des copropriétés.
4. Conclusion… en attendant la suite !
Au final, l’individualisation des frais de chauffage étant un dispositif tellement décrié – à juste titre – nous saluons le maintien de la liberté d’individualiser ou non les frais de chauffage pour la plupart des copropriétés.
Cela est de plus cohérent avec les démarches d’audit énergétique que doivent réaliser les copropriétés avant le 31 décembre 2016, ainsi qu’avec le diagnostic technique global qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017, et dont les conclusions permettront aux copropriétaires d’arbitrer de manière impartiale entre les différentes priorités : individualisation des frais de chauffage, optimisation du chauffage collectif, rénovation de chaufferie, isolation du bâti, etc.