Abus 1484 Le point sur les gardiens d’immeuble ou : il faut donner les VRAIS chiffres

30/07/2008 Abus Abus

ARC Abus n°1484 ( DOSSIER DU MOIS DE SEPTEMBRE 2008 ): 30 07 08/©

Le point sur les gardiens d’immeuble ou :

il faut donner les VRAIS chiffres

 


 

 

  • Le gardien d’immeuble : un «marronnier» pour les politiques et les syndics

Régulièrement des hommes ou femmes politiques, relayés par les fédérations de syndics lancent des appels pathétiques sur l’air de :

«Il faut absolument rétablir la fonction de gardien dans les copropriétés (voire la rendre obligatoire) ; un gardien ne coûte pas si cher et il est vraiment indispensable».

Nous allons voir dans l’article qui suit :

  1. les raisons qui expliquent pourquoi toutes ces personnes se penchent avec tant de sollicitude sur ce dossier ;
  2. en quoi les chiffres qu’ils citent sont le plus souvent bien en dessous de la réalité ;
  3. ce qu’il faut penser, selon nous, du problème et pourquoi il convient d’être très prudent.
  • Pourquoi cet engouement pour les gardiens ?
  1. Les pouvoirs publics
  • Les pouvoirs publics aiment les gardiens ; pour au moins trois raisons : d’abord ils voient en eux de véritables agents privés de sécurité ; d’autre part ils pensent qu’il s’agit d’un gisement d’emplois non délocalisables ; enfin - depuis peu - ils pensent aussi que les gardiens pourraient jouer une fonction « officielle » d’aide à la personne auprès des personnes âgées maintenue à domicile. Régulièrement, d’ailleurs, on nous annonce une loi qui rendrait obligatoire les gardiens dans les copropriétés.
  • Les pouvoirs publics oublient néanmoins certains «détails» :
  1. 60 % des copropriétés en France ont moins de 20 lots. Ainsi, comme on le verra quand on donne les vrais chiffres, pour une copropriété de 20 lots un gardien est un véritable luxe, contrairement à ce qu’affirment les uns et les autres (du moins ceux qui n’ont pas à payer les charges correspondantes) ;
  2. Par ailleurs dans beaucoup de copropriétés neuves ou récentes il n’existe plus de logement et d’appartement de fonction pour les gardiens, les promoteurs souhaitant faire des économies y compris sur ce point ;
  3. Enfin dans les copropriétés où un gardien pourrait sembler utile - copropriétés de 80 lots et plus - il n’est pas besoin d’imposer de gardien, car celui-ci est très souvent en place depuis la création de ces copropriétés.

En ce qui concerne l’« idée » que l’on puisse donner aux gardiens une fonction « officielle » d’« aide à la personne », là aussi il faut rester très prudent, sachant que cela obligera à gérer un conflit d’intérêts permanent entre le travail fait POUR la copropriété et les services rendus à certains occupants. Nous y reviendrons.

  1. Les syndics
  • Les syndics aiment aussi beaucoup les gardiens, mais pour d’autres raisons : le gardien est, en effet, un salarié payé par le syndicat des copropriétaires qui fait une partie du travail du syndic sans que cela diminue les honoraires de ce dernier ; dans certaines situations le gardien devient même un « collaborateur » très précieux du syndic allant jusqu’à faire visiter les logements dont le syndic a la gérance, voire faire les états des lieux d’entrée et de sortie…

Les syndics les aiment d’ailleurs tellement, les gardiens, qu’ils sont souvent très généreux avec eux et qu’ils finissent par leur verser des salaires bien supérieurs à ce qui résulterait de l’application stricte de la convention collective (les syndics sont souvent loin de payer leurs propres collaborateurs avec autant de générosité que celle qu’ils manifestent envers les gardiens).

  • Des chiffres inexacts et incomplets

Pour persuader les copropriétaires qu’un gardien, ce n’est pas cher, nous avons droit régulièrement à des simulations tant des pouvoirs publics que des chambres de syndics. Ces simulations sont inquiétantes, cependant car elles montrent que les pouvoirs publics et les syndics d’une part produisent souvent des chiffres inexacts et minorés, et d’autre part oublient d’intégrer un certain nombre de charges ou de frais dans leur calcul.

(À noter : soit ces chiffrages sont volontairement inexacts et c’est grave ; soit ils le sont involontairement, et ce n’est pas plus rassurant).

 

Voici la dernière simulation en date faite par la FNAIM pour un gardien de «base»

(10.000 UV , coefficient 255) :

 

rémunération minimum (avenant n°70)

cotisations  salariales      (+/- 24%)

cotisations patronales        (+/- 50%)

Coût mensuel

cotisations salariales base annuelle

cotisations patronales base annuelle

Coût annuel       (s/13 mois)

 

 

 

 

 

 

 

 

Salaire de base

1 053,15

252,76

526,58

1 326,97

3 285,83

6 845,48

17 250,60

Salaire complémentaire

388,31

93,19

194,16

489,27

1 211,53

2 524,02

6 360,52

Prime tri sélectif (poubelles)

76,22

18,29

38,11

96,04

237,81

495,43

1 248,48

Coût du remplacement pendant les congés

2 655,94

637,43

1 327,97

278,87

8 286,53

17 263,61

3 346,48

 

 

 

 

 

 

 

 

Total

 

 

 

2 191,15€

 

 

28 206,08€

 

  1. Ces chiffres sont  d’abord INEXACTS
  • Sur 2008, un gardien de base, coefficient 255, taux  d’emploi 100 %, avec tri sélectif, dans une copropriété de 100 lots, reviendra, 13e mois et charges patronales comprises, à 25.432,45 € et à 4.064,84 € pour le remplaçant, soit un total de 29.497,36 €

Précisons qu’il s’agit là d’ailleurs du MINIMUM conventionnel, sans ancienneté ni salaire complémentaire contractuel.

Précisons aussi, (ce que tous les praticiens savent), que - la plupart du temps - les syndics établissent un contrat sur la base non de 10 000 unités de valeur (taux d’emploi de 100 %) mais de 12 500 unités de valeur, ceci pour pouvoir majorer de 25 % le salaire de départ.

Dès lors ce n’est plus 29 497 € qui est le salaire « plancher » mais… 36 800 € (environ, car tout n’est pas totalement proportionnel).

  1. Ces chiffres sont ensuite très INCOMPLETS
  • Ce qui nous surprend le plus est que la FNAIM oublie diverses charges, parfois lourdes, dans son chiffrage :
    1. la taxe sur salaires : 1 784,00 € ;
    2. la taxe pour la formation professionnelle : 162,24 € ;
    3. la médecine du travail : 71,00 € ; 

Voici notre calcul :

Libellé

de 01/2008 à 03/2008

04/2008

05/2008 et 06/2008

de 07/2008 à 11/2008

12/2008

Brut conventionnel

1 426,36 €

1 441,46 €

1 458,47 €

1 480,61 €

1 480,61 €

Tri sélectif

76,22 €

76,22 €

76,22 €

76,22 €

76,22 €

13e mois

 

 

 

 

1 480,61 €

Total mensuel

1 502,58 €

1 517,68 €

1 534,69 €

1 556,83 €

3 037,44 €

Total général

4 507,74 €

1 517,68 €

3 069,38 €

7 784,15 €

3 037,44 €

Total annuel Titulaire

19 916,39 €

Charges salariales 22,96 %

-4 572,80 €

Avantage en nature "logement"

-1 464,23 €

Avantages en nature complémentaires (électrcité/chauffage/eau chaude)

-524,40 €

Net à payer  Titulaire

13 354,96 €

Charges patronales 42,00%

8 364,88 €

Réduction Loi Fillon mensuelle

-254,24 €

-249,66 €

-259,67 €

-263,42 €

0,00 €

Total Réduction Loi Fillon

-762,72 €

-249,66 €

-519,34 €

-1 317,10 €

0,00 €

Total annuel réduction Loi Fillon

-2 848,82 €

Total charges patronales Titulaire

5 516,06 €

Remplaçant*

 

 

 

2 259,92 €

602,64 €

Total salaire remplaçant

2 862,56 €

Charges salariales 22,96 %

-657,24 €

Net à payer Remplaçant

2 205,32 €

Charges patronales 42,00%

1 202,28 €

Réduction Loi Fillon

 

 

 

0,00 €

0,00 €

Total charges patronales Remplaçant

1 202,28 €

Cumul salaires bruts Titulaire + Remplaçant

22 778,95 €

Cumul des charges patronales T + R

6 718,34 €

AGEFOS PME 0,55%

125,28 €

Médecine du travail

71,00 €

Taxe sur les salaires

1 784,00 €

Total du coût pour 1 poste de gardien

31 477,57 €

* 5 semaines : dont 4 en 08/2008 et 1 en 12/2008

Là encore, ce chiffre est valable pour 10 000 U.V ; pour 12 500 ce sera 39 000 €. On est loin des 28.000 € de la FNAIM. et ce n’est pas tout.

  • Des « oublis » incompréhensibles et regrettables

En effet (et là encore nous sommes très surpris) nos partisans inconditionnels des gardiens oublient de nombreux points dans leur calcul ;

  • ils oublient qu’il faut loger les gardiens, ce qui passe souvent par l’obligation de louer ou d’acheter un logement (situé obligatoirement dans la copropriété), les logements de fonction n’existant plus dans les nouveaux programmes ; à noter aussi que  si le logement existe, il faudra payer l’impôt foncier ;
  • ils oublient qu’il faut prendre en charges le chauffage, l’électricité, l’eau chaude, le gaz des gardiens ; certes une partie de ces frais est récupérée mais il s’agit d’une récupération symbolique à travers les salaires en nature « logement » et complémentaires (exemple : pour un logement de 45 m² 1.464,23 € + 524,40 € = 1.988,63 € par an, soit une moyenne de 165,72 €/mois ; à comparer au prix du marché locatif )
  • ils oublient que, même lorsqu’il y a des compteurs d’eau chaude les syndicats de copropriétaires doivent souvent prendre en charge l’eau chaude des gardiens, l’eau froide étant de toute façon conventionnellement gratuite.
  • ils oublient enfin que de nombreux syndicats de copropriétaires doivent, suite aux libéralités de certains syndics, prendre en charge la taxe d’habitation des logements de fonction alors qu’elle doit être à la charge des gardiens, excepté dans certains départements ;

Cela fait beaucoup d’oubli.

Le vrai coût des gardiens.

Dans l’exemple de la FNAIM on arrive à un coût annuel de 28.206,08 € pour 10 000 U.V.

  1. Si l’on corrige les erreurs on arrive à  31.477,57 € (soit + 11,60 %).
  2. Si l’on rajoute les frais non visibles (électricité, chauffage, gaz, eau chaude, eau froide, petits travaux d’entretien), cela représente un minimum de 1.700,00 € . Il faut bien comprendre qu’il s’agit là de la partie située au-delà de ce qui peut être récupéré symboliquement auprès du gardien puisqu’il faudra bien payer en plus, dans les charges générales, les vraies consommations d’électricité, de gaz, de chauffage et d’eau en particulier, sans compter la prise en charge quasi-systématique de toutes les réparations locatives en plus des travaux de réfection réguliers.

Ainsi on passe (pour 10.000 U.V) de 28.206,08 € à 33.177,57 € (soit + 17,63 %), soit 1 105 € par an et par logement dans le cas d’une copropriété de 30 lots et 1 660 € si la copropriÉtÉ a 20 lots !!

À ceci il faut ajouter l’ancienneté (3 % tous les trois ans) et tenir compte du fait que l’on peut avoir un gardien salarié sur la base de 12 500 U.V, comme on l’a dit, et non de 10 000 U.V, ce qui est très souvent le cas.

  • Notre position
  • Au-delà des problèmes financiers, il y a encore d’autres problèmes qu’il ne faut pas minimiser.
  • Ceci sans parler des points déjà évoqués (grande majorité de petites copropriétés d’une vingtaine de lots ; absence de plus en plus fréquente de logement de fonction).
  1. Des «gardiens» qui n’ont plus véritablement de fonction de «gardien» 
    • D’abord les «gardiens», en copropriété, ont de moins en moins une fonction de gardien puisque l’astreinte de nuit comme la permanence de week-end sont en train de disparaître (ce qui est normal). Par ailleurs les équipements comme les ascenseurs ou le chauffage sont tous munis, désormais, d’une télé-alarme qui fait qu’en cas de problèmes, ceux-ci seront traités directement par l’exploitant, même en l’absence de gardien.
  2. Des difficultés parfois très complexes à gérer 
    • Il ne faut pas non plus passer sous silence le fait que la présence des gardiens en copropriété n’est pas toujours aussi simple ni rose que le croient nos pouvoirs publics. Lorsqu’une société de HLM a un problème avec un gardien, elle peut trouver des solutions (mutation, changement de poste à l’intérieur de son parc de logement). Les syndicats de copropriété ne le peuvent pas.
    • Les problèmes de santé des gardiens (maladie ou accident de travail) créent parfois des situations très délicates, générant des surcoûts non négligeables (maintien de la rémunération à 90 % + salaire majoré de 50 % pour le remplaçant), sans oublier les congés maternité ou les congés parentaux. Il faut dire aussi que les syndics sont souvent très «frileux» en matière de licenciement, bien qu’un licenciement justifié ne revienne pas aussi cher que le laissent parfois entendre certains syndics ; par ailleurs de nombreux gardiens assurent des services (payants) à certains résidents pendant leurs heures de travail, ce qui génère des tensions entre les copropriétaires.
    • Tout ceci explique que le taux de satisfaction des copropriétaires concernant ce poste soit plutôt faible : une enquête de l’ARC auprès de ses adhérents avait révélé en 2002 un taux de satisfaction égal à moins de 50 % en cas de gardien alors qu’il était de 80 % en cas d’employés d’immeuble. Les pouvoirs publics sauront-ils entendre les chiffres ?
  3. Un service très coûteux ramené au lot
    • Comme on l’a vu, pour beaucoup de copropriétés, le «service» est - vu la taille moyenne des copropriétés - véritablement hors de prix, quand celui-ci est ramené au lot. Il n’est donc pas forcément très opportun de pousser les copropriétaires (en sous-estimant les chiffres et oubliant des charges) à embaucher un gardien sachant que cela va peser énormément sur les charges et qu’une fois le gardien en place, il sera très difficile (ou très coûteux) de supprimer le poste.
  4. Un cocktail explosif entre fonctions « collectives » et fonctions « individuelles »
    • En ce qui concerne l’évolution de la fonction de gardien et de l’ajout d’une dimension dite d’« aide à la personne », nous dirons ceci :
    • Cette fonction existe de fait aujourd’hui ; dans toutes les copropriétés les gardiens rendent des services personnels aux iccupants, aux personnes âgées en particulier.
    • Cela n’est d’ailleurs pas sans créer certaines crispations en cas d’exagération, mais disons que cela « fonctionne » en général à peu près correctement, car chacun - gardien et bénéficiaire des services individuels - a intérêt à ne pas abuser de la situation, pour la pérenniser.
    • Institutionnaliser cette double fonction (travail pour la collectivité et aide à la personne) introduirait néanmoins un mélange des genres, une confusion et une complexité qui risque d’être source de conflits et de contentieux permanents. Nous pensons depuis longtemps qu’il s’agit de ce qu’on appelle une « fausse bonne idée ». Nous serons donc très attentifs, comme membre de la Commission Mixte Paritaire de la Convention Collective des gardiens et employés d’immeuble, à toute « évolution » sur ce point qui porterait en germe la confusion des genres et engendrerait de nouvelles difficultés.

 

Conclusion :

Nous sommes comme tout le monde et préférerions qu’il y ait des gardiens partout qui s’occupent de tout et de tout le monde...

Mais nous nous devons d’être réalistes, de donner les vrais chiffres, d’évoquer les vrais problèmes et donc de rappeler que cette solution, pour les petites copropriétés, est devenue trop chère et parfois trop complexe, n’en déplaise aux syndics et aux ministres. Il faut ainsi être prudent si l’on ne veut pas créer de nouveaux problèmes, sachant que tout ce qui est consacré aux charges courantes ne le sera pas pour les gros travaux et qu’il faut éviter, par ailleurs, de mélanger les fonctions sous une même casquette.

 

Mots clés associés