Les syndicats de copropriétaires dotés d’un système collectif de production d’eau chaude ou de chauffage alimenté au gaz sont confrontés à l’envolée des prix de cette matière première.
Si cette évolution s’explique en partie par le contexte international, elle relève également des tentatives de distributeurs d’énergie d’en tirer profit.
ENI nous apporte en la matière un exemple déconcertant de pratiques commerciales, a minima, incontestablement abusives.
I. Principe conventionnel douteux d’un dépôt de garantie
Une résidence parisienne obtient d’ENI en octobre 2022, un contrat de fourniture de gaz de deux ans prenant effet au 1er janvier 2024. En parcourant cette offre, une de ses stipulations particulières nous interpelle spécifiquement, en l’occurrence un dépôt de garantie d’un montant de 6.835,20 € supporté par le syndicat des copropriétaires.
De quoi s’agit-il ?
Un dépôt de garantie s’entend en principe d’une somme destinée à préserver l’intégrité d’un bien immobilier ou mobilier objet du contrat. Les parties conviennent donc d’une indemnité au cas où le bénéficiaire manquerait à ses obligations de conservation de l’équipement mis à disposition par celui auquel il appartient.
La loi du 6 juillet 1989 autorise à ce titre le propriétaire d’un logement à prévoir, dans son bail d’habitation, un dépôt de garantie à la charge du locataire, qui vise principalement à réparer financièrement les dégradations constatées (hors usure ordinaire) entre l’état des lieux de sortie par rapport à celui d’entrée.
Or, en l’espèce la convention entre ENI et ce syndicat des copropriétaires ne s’entend nullement de la location d’un matériel susceptible de détérioration, par des agissements inappropriés, mais uniquement de la fourniture du gaz pour sa chaudière collective.
A quoi correspond donc exactement ce dépôt de garantie imposé par ENI ?
Pour obtenir la réponse à notre interrogation légitime, il faut se reporter au point 7.6 des conditions générales de vente annexées. Cette disposition concède à ENI la faculté d’un dépôt de garantie dans l’hypothèse d’une situation financière défavorable ou d’antécédents d’impayés du syndicat des copropriétaires.
En définitive, ce dépôt de garantie s’apparente donc à une protection pécuniaire :
- bien qu’ENI ne soit ni un établissement financier, ni une compagnie d’assurance ;
- facultative, alors que les conditions particulières donnent à penser à un impératif contractuel ;
- fondée en partie sur des critères imprécis « situation financière défavorable ».
Cette approche se révèle d’autant discutable, qu’ENI n’est pas un expert-comptable, et n’a pas à attester à son cocontractant de ses conclusions justifiant cette facturation spécifique.
II. Application litigieuse dans le temps du dépôt de garantie contractuel
Outre le caractère suspect du dépôt de garantie prévu par ENI pour la simple fourniture de gaz, sa date de facturation prête juridiquement à discussion.
ENI sollicite du syndic, pour le compte du syndicat des copropriétaires, le règlement du dépôt de garantie, en octobre 2022, dès la signature du contrat, alors que la prise d’effet de celui-ci interviendra plus d’un an après, au 1er janvier 2024.
Si ce procédé n’est pas contraire au point 7.6 des conditions générales, il n’en demeure pas moins douteux à de nombreux égards.
ENI affirme tout d’abord des dons d’ubiquité manifestes, puisqu’elle connait la situation financière défavorable ou les impayés du syndicat des copropriétaires, plus d’un an avant l’entrée en vigueur du contrat. Elisabeth TEYSSIER n’a qu’à bien se tenir !
De plus, ENI, qui privilégie pourtant sa préservation pécuniaire par ce dépôt de garantie, fait néanmoins une impasse fondamentale sur la sécurité juridique de cette convention.
En effet, elle omet la capacité de dénonciation judiciaire, par les copropriétaires, quant à la légalité des décisions du syndic et du syndicat.
Autrement dit, ENI requière du syndicat un paiement, un an avant la date de prise d’effet du contrat, malgré le risque d’action judiciaire en nullité envisageable par un copropriétaire opposant ou défaillant (art. 42 de la loi du 10 juillet 1965).
Il convient de rappeler à toutes les parties intéressées, le droit applicable, et les conséquences dommageables dans le cas contraire.
Il s’agit notamment de :
- l’approbation des contrats du syndicat des copropriétaires selon une décision de l’assemblée générale et sa proposition jointe à sa convocation (art. 11 al. 3 du décret du 17 mars 1967) ;
- la possibilité pour tout copropriétaire opposant ou défaillant de solliciter judiciairement la nullité d’une résolution, qu’il considère illicite. L’illégalité s’apprécie non seulement au regard du droit de la copropriété (loi de 1965, décret du 17 mars 1967), mais aussi du droit commun (Code civil), voire de dispositions juridiques spéciales (droit commercial, de la consommation).