Ascenseurs: le rédacteur en chef adjoint de CAPITAL parle de l’ARC, de l’ARC et encore de l’ARC
Le rédacteur en chef adjoint du Journal CAPITAL - Philippe ELIAKIN - a consacré un livre entier aux aberrations concernant les obligations « sécuritaires » en France, souvent liées à des lobbys professionnels ou à des responsables politiques appliquant sans discernement le principe de précaution, comme Gille DE ROBIEN l’a fait avec les ascenseurs.
Dans ce livre (« Absurdité à la Française : enquête sur ces normes qui nous tyrannisent ») un chapitre est, en effet, consacré au problème de la fameuse mise en sécurité des ascenseurs.
Nous en reproduisons ci-dessous certains passages et félicitons son auteur pour avoir rendu à César (en l’occurrence l’ARC) ce qui était à César… Cela fait en effet dix ans que l’ARC se bat pour tempérer les ardeurs des ascensoristes et des « pousses-aux-devis » (et surtout aux dépenses) si souvent inutiles et vient même d’obtenir un moratoire sur certaines dispositions en partie inutiles.
Comme notre directeur - largement cité dans ce guide - l’a néanmoins écrit au rédacteur en chef adjoint de CAPITAL - même si son chapitre (et plus généralement son guide) est excellent - il passe sous silence trois points importants :
- Le travail des hauts-fonctionnaires en charge de ces problèmes et qui - eux aussi - se battent depuis des années pour éviter les excès n’est pas assez mis en avant.
- Philippe ELIAKIN ne souligne pas assez que les VRAIS problèmes (car ils existent) viennent à 80 % des défauts de maintenance des ascenseurs (un technicien qui s’occupait de 80 appareils il y a quinze ans s’occupe aujourd’hui de 200 à 300 appareils !!!).
- Enfin, l’aide précieuse qu’ont apportée les responsables de l’USH (Union Sociale de l’Habitat) qui se sont battus avec l’ARC pour empêcher le maximum d’abus n’est pas non plus assez mise en avant.
Voici les extraits de ce chapitre par ailleurs, nous le rappelons, excellent :
« GASPILLAGE À TOUS LES ÉTAGES
Si l'accident s'était produit n'importe où ailleurs, à Nantes, à Dijon ou à Cherbourg, on n'en parlerait plus depuis longtemps. La marche du monde est assez rade pour qu'on ne s'attarde pas sur ce genre de fait divers. Seulement c'est à Amiens que, le matin du 15 juin 2002, une mère de famille de quarante et un ans s'est retrouvée coincée entre le palier et la cabine d'ascenseur de sa cité HLM. L'appareil s'était arrêté normalement au rez-de-chaussée, mais lorsque la malheureuse a commencé d'en sortir, il a repris brusquement sa course en direction des sous-sols, pour une raison inconnue. Sous les yeux horrifiés des cinq autres occupants de la cabine, elle s'est retrouvée coincée les jambes d'un côté, le tronc de l'autre, avec la colonne vertébrale à moitié écrasée, un cauchemar. Les pompiers parviendront finalement à l'en sortir vivante, mais elle est aujourd'hui tétraplégique.
Si l'accident s'était produit n'importe où ailleurs, Gilles de Robien n'aurait sans doute pas bougé. Mais face à l'émotion suscitée dans la capitale picarde, il ne pouvait décemment pas rester sans rien faire.
Depuis le temps que les Amiénois et les Amiénoises lui faisaient confiance pour défendre leurs intérêts à la mairie et à l'Assemblée nationale, ne se devait-il pas d'être toujours à leurs côtés, dans les joies comme dans les peines? Et si possible, en prenant des mesures concrètes, susceptibles d'alléger leurs soucis ? Ça tombait bien, quelques jours plus tôt, il avait troqué son fauteuil de maire contre celui de ministre du Logement et des Transports du gouvernement Raffarin, cela lui laissait toute latitude pour montrer à ses fidèles électeurs de quel bois il se chauffait. «Je vais prendre des mesures très sévères, parfois coûteuses, mais indispensables, compte tenu de la gravité et des conséquences des pannes et de certains dysfonctionnements», s'est-il exclamé l'après-midi même du drame, en fronçant ses sourcils aristocratiques pour bien montrer qu'il ne plaisantait pas. C'était déjà assez stressant de vivre dans les quartiers populaires d'Amiens avec un ascenseur social en panne, on n'allait pas en plus se laisser sectionner la moelle épinière par de vulgaires monte-charges...
D'ordinaire, ce genre de promesse, prononcée sous le coup de l'émotion, ne débouche sur rien de concret. La République dispose d'un service d'enterrement de première classe avec fossoyeurs en grande tenue, et elle est parfaitement organisée pour laisser moisir les projets urgents au fond des tiroirs pendant des décennies, surtout lorsqu'ils ne ressemblent à rien. Mais cette fois, c'était devant ses propres électeurs que Gilles de Robien s'était engagé à agir, et il n'était pas question pour lui de se dédire. D'autant qu'un autre accident s'était produit quelques semaines plus tôt, dans une HLM de Strasbourg, cette fois : Bilal un petit garçon de quatre ans avait fait une chute mortelle de 18 mètres dans une cage d'ascenseur dont la grille avait été mal condamnée par un technicien, et la France entière s'en était émue. Il était grand temps d'en finir avec ces horreurs. Toutes affaires cessantes, les services du nouveau ministre ont donc été priés de se plonger dans les machineries d'immeubles et les boutons d'arrêt des élévateurs, d'organiser des réunions avec les professionnels du secteur, et de mettre au point au plus vite une réglementation de nature à éviter que les Amiénoises de quarante et un ans ne se retrouvent coupées en deux en descendant faire leurs courses.
Vite fait, mal fait... Un an plus tard, le Parlement adoptait dans l'enthousiasme un amendement sur la sécurité des ascenseurs existants (SAE), imposant à toutes les copropriétés un plan de modernisation et d'entretien de leurs appareils comme on n'en trouve nulle part au monde. Verrouillage des portes palières, précision d'arrêt à l'étage, encloisonnement total des cages, dispositifs de protection pour les ouvriers de maintenance, pose de nouveaux éclairages, réfection des locaux des machineries... L'arrêté du 18 septembre 2004, qui a fixé les détails des réjouissances, a placé la barre tellement haute que les pouvoirs publics ont préféré étaler les dépenses sur une longue période, afin de n'étrangler que progressivement les familles. La troisième et dernière tranche de travaux devait initialement se terminer au 1er janvier 2018, mais elle a été repoussée de trois ans, nous allons comprendre pourquoi.
Dans l'étrange univers des normes, on le voit assez dans ces pages, le non-sens et la démesure sont souvent la norme. Mais cette réglementation-là est tellement déconnectée de la réalité, et ses conséquences économiques si pesantes pour les Français, qu'elle mérite de figurer aux plus hauts étages du palmarès de l'absurde. Ou plus exactement de celui des bonnes affaires, car les fortunes dépensées par les copropriétaires dans la mise en conformité de leurs 500000 cabines élévatrices ne sont pas perdues pour tout le monde. Voilà près d'une décennie que nos amis les ascensoristes - et spécialement les quatre géants du secteur, l'Américain Otis, le Suisse Schindler, le Suédois Koné et l'Allemand ThyssenKrupp, qui tiennent 85 % du marché - se payent des cravates en soie avec, en rigolant bien du bon tour qu'ils nous jouent.
Et ils n'ont pas l'intention de s'arrêter en si bon chemin, car la plupart des immeubles n'ont pas encore attaqué les travaux les plus lourds. «C'est le hold-up du siècle», s'énerve Bruno Dhont, le directeur de l'Association des responsables de copropriété (Arc), qui a ferraillé pendant des mois dans les commissions Théodule du gouvernement pour essayer d'adoucir la rédaction de cette folle réglementation1.
Son premier défaut est qu'elle ne sert à rien.
La Fédération des ascensoristes (FA), qui a refusé de répondre à nos questions, l'a elle-même indirectement reconnu le 19 février 2013 dans une conférence de presse. Après avoir rappelé que l'unique objectif des sociétés liftières était «de sauver des vies», et pas du tout de gagner beaucoup d'argent comme l'insinuent les esprits pervers, ses responsables ont dévoilé l'éclatant bilan de la loi SAE. En une décennie d'application, se sont-ils rengorgés, elle a permis de diviser par cinq le nombre d'accidents graves dans les ascenseurs, nous disons bien diviser par cinq, les faisant passer de sept par an en moyenne entre 2001 et 2006 à environ 1,3 par an en moyenne au cours des cinq années suivantes. Grâce aux lourds efforts que les Français devront encore fournir dans les huit prochaines années pour se conformer à leurs obligations, on pourra sans doute faire encore mieux, a-t-il laissé saliver son auditoire.
Rien ne dit que ces chiffres soient justes. L'État ayant cessé depuis longtemps de comptabiliser ce genre de décès, ce sont les ascensoristes eux-mêmes qui établissent les bilans mortuaires. Mais ces statistiques donnent quand même une idée des effroyables ravages que provoquaient les machines à tuer de nos immeubles avant qu'on ne se décide à les mettre au pas. Sept accidents graves par an, dont un ou deux mortels ! Et encore, en comptant les actes de délinquance fatals (forçage délibéré des portes palières, destruction des cloisons de protection...) qu'aucun arrêté ministériel ne pourra jamais empêcher ! Bien sûr, un décès est toujours un décès de trop, et la souffrance suscitée chez les proches du disparu ne peut être soupesée sur aucune balance. Mais enfin, rapporté aux 65 millions d'habitants de l'Hexagone, et aux 36 milliards de personnes hissées tous les ans dans les étages par les élévateurs tricolores, deux morts par an, ça ne fait quand même pas beaucoup.
À titre de comparaison, 15 personnes (7 fois plus, donc) décèdent chaque année en France d'une piqûre de guêpe, 20 (10 fois plus) perdent la vie en chutant d'une falaise, 23 périssent en tombant sur les rails du métro, 27 sont ensevelies par une avalanche avec piolets et snowboard, 28 (14 fois plus) décèdent après avoir ingéré des champignons vénéneux, 35 (17 fois plus) en étant frappées par la foudre, 105 (52 fois plus) disparaissent noyées en mer, 300 (150 fois plus) en respirant les émanations d'un chauffage défectueux, 1350 (675 fois plus) en avalant leur steak ou leurs cacahuètes de travers, et plusieurs centaines (des dizaines et des dizaines de fois plus) en chutant... dans un escalier. En fait, si l'on voulait trouver un facteur de risque à peu près équivalent à celui que présentaient les ascenseurs avant leur enrégimentement dans les normes Robien, il faudrait aller chercher des causes un peu plus exotiques, comme les crashs en deltaplane (on en déplore 5 ou 6 par an) ou - on ne galèje pas - les chutes de noix de coco sur la tête des Monsieurs Pas-de-chance, qui tuent à peu près au même rythme dans les Dom-Tom. Et la délinquance n'y est pour rien, cette fois.
Imagine-t-on un instant ce que serait l'état du pays si le gouvernement imposait des plans de sécurisation drastiques pour nous prémunir de tous ces dangers, incluant le cloisonnement immédiat des falaises d'Étretat, la saisie conservatoire de tous les appareils de chauffage un peu limite, l'interdiction de nager dans la mer quand il y a trop de vagues, et l'obligation da port de combinaisons d'apiculteur pour tous les enfants de moins de douze ans domiciliés dans les communes rurales ou suburbaines abritant au moins une ruche de catégorie C (une reine, 30000 alvéoles, 65000 bourdonneuses)? Ce serait pourtant bien plus justifié que de nous assommer avec une réglementation démentielle sur les ascenseurs, puisque cela sauverait beaucoup plus de vies.
Et que cela coûterait nettement moins cher.
Car les 17 mesures imposées par l'arrêté SAE sont un véritable gouffre financier. Le croira-t-on? Depuis le début de l'opération, les copropriétaires ont dû engloutir 5 milliards d'euros en travaux de réfection et de maintenance pour répondre aux préconisations de la loi. Et une fois qu'ils auront réalisé la totalité de la mise en conformité de leurs appareils, leur douloureuse frisera le montant faramineux de 8 milliards d'euros. Pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec les gros chiffres, 8 milliards d'euros, c'est l'équivalent du prix d'achat d'un million de Renault Twingo, ou, si l'on préfère, de 30000 maisons individuelles de 100 mètres carrés flambant neuves avec leur petit terrain - une ville de 75 000 habitants construite à zéro, en somme. Avoir l'idée de dépenser un pareil montant pour sauver deux vies par an est déjà une aberration intellectuelle. Mais décider de passer aux actes relève purement et simplement de la démence. Car enfin, si le gouvernement voulait absolument nous faire flamber des fortunes pour clouer le bec à la grande faux, pourquoi ne nous a-t-il pas demandé de les offrir à nos laboratoires de recherche médicale, qui crient famine ? Ou de les investir dans la sécurisation de notre réseau routier, dont certaines portions restent très accidento-gènes? L'Amiénois Gilles de Robien n'y aurait peut-être pas trouvé son compte électoral, mais cela aurait permis d'éviter des centaines et peut-être même des milliers de décès par an. Au lieu de quoi, les pouvoirs publics ont préféré se limiter à deux.
Il faut dire qu'ils se sont fait avoir dans les grandes hauteurs par les ascensoristes. Pendant toute la préparation de la loi de 2003 et de l'arrêté qui s'en est suivi, les avant-gardes de ces derniers ont, en effet, mené une formidable opération de lobbying dans les commissions qui se réunissaient au ministère du Logement. Elles y étaient chez elles !
En plus des pompiers - des alliés objectifs toujours prêts à en demander le maximum pour assurer la sécurité -, de quelques fonctionnaires qui n'y connaissaient pas grand-chose et d'eux-mêmes, ces instances réunissaient des scientifiques, des experts judiciaires, des techniciens des bureaux de contrôle, et des spécialistes de cabinets d'études indépendants, dont la plupart étaient... issus de leurs propres rangs. Comme les associations de consommateurs, pas tellement chaudes pour se mouiller dans ce dossier piège, avaient préféré passer leur tour, les pilules étaient faciles à faire avaler, même lorsqu'elles étaient énormes. «J'étais tout seul pour représenter les intérêts des copropriétaires, c'est-à-dire de ceux qui allaient devoir payer la note», témoigne Bruno Dhont, le chevalier blanc de l'Arc1.
Grâce à quoi, aux côtés des quelques dispositifs réellement utiles, comme le renforcement des serrures sur les portes palières, ou l'installation d'un bouton d'arrêt pour les ouvriers qui travaillent dans la fosse, les pros des ascenseurs sont parvenus à imposer aux Français toute une série de travaux qui n'avaient pas grand-chose à voir avec la sécurité. Certes, ils n'ont pas obtenu la pose de rambardes obligatoires sur le toit des cabines comme ils le demandaient avec insistance, il ne faut quand même pas exagérer. Et le gouvernement n'a pas cédé non plus à leur exigence de protection renforcée pour les appareils des quartiers défavorisés, cela aurait été perçu comme une discrimination. Mais ils ont réussi à imposer la mise en place d'un éclairage à 200 lumens dans les machineries, le renforcement du verre des petites fenêtres des portes palières, l'encloisonnement complet de la cage avec du grillage ou des plaques de métal, et surtout, l'installation de dispositifs électroniques garantissant la précision d'arrêt aux étages.
Quel combat ils ont mené pour obtenir cette obligation-là ! Pendant des semaines, ils ont fait donner leurs meilleurs experts, présenté des données statistiques en pagaille, dépensé des litres de salive afin d'essayer de démontrer qu'au-delà d'un centimètre de dénivelé entre la cabine et le palier, les risques d'accidents étaient considérables. Les enfants pouvaient tomber en sortant de l'ascenseur. Les personnes âgées se casser le col du fémur. Les poussettes se prendre la roue dans l'interstice.
Bref, c'étaient des catastrophes en perspective, des blessés graves, peut-être même des morts, et après il ne faudrait pas venir se plaindre, hein, ils auraient prévenu le ministre. «Lors de la dernière séance, on a négocié pied à pied pendant huit heures sur ce seul point, se souvient Bruno Dhont. Face à vingt experts unanimes, je vous assure que ce n'était pas facile, je me suis fait traiter de radin, d'irresponsable, pratiquement d'assassin. Ça, pour vous culpabiliser, ils savent y faire1.» Au bout du compte, le représentant de l'État, qui devait quand même sentir lui aussi un peu le coup fourré, a transigé à 2 centimètres, et les fabricants ne sont sortis qu'à demi satisfaits.
Pour atteindre ce degré de précision, il n'est en effet pas toujours indispensable d'installer un variateur de fréquence, un système de freinage automatique par coupure de courant. Or, l'objectif des constructeurs était d'imposer à toutes les copropriétés sans exception la pose de ce boîtier électronique absolument hors de prix - il coûte entre 19 000 et 40 000 euros. Ils se sont cependant rattrapés en obtenant de le rendre obligatoire dès que la vitesse d'approche de la cabine est supérieure ou égale à 0,25 mètre par seconde, ce qui est très souvent le cas. Chapeau bas, les liftiers! Restait à passer aux actes, ce que lès redoutables commerciaux des Otis et autres Schindler se sont empressés de faire. À peine l'arrêté de 2004 publié, et bien que ce texte accorde un délai de neuf ans, ils se sont précipités pour convaincre les copropriétés de procéder sans attendre à l'installation de ces boîtiers magiques - «quitte à entreprendre des travaux, autant tout faire d'un coup, ça vous reviendra moins cher».
Les milliers d'entre elles qui se sont laissé avoir peuvent aujourd'hui le regretter. Car, en réalité, il est très possible de garantir une précision d'arrêt de 2 centimètres avec une vitesse d'approche de 0,25 mètre par seconde sans variateur de fréquence. Il suffit de prendre le temps d'effectuer les bons réglages. On sait, tout cela est un peu technique.
Mais c'est dans ces replis-là que se cachent les normes les plus vicieuses, il faut bien accepter d'y descendre quelques instants avec sa lampe de mineur si l'on veut les apercevoir. Et éviter de payer des dizaines de milliers d'euros pour rien.
Au reste, les fonctionnaires du ministère du Logement eux-mêmes ont fini par le faire, il y a quelques mois. Et ils ont découvert eux aussi que cette histoire de variateur n'était pas très nette. Leur ministre, Cécile Duflot, a donc décidé de stopper les machines et de regarder tout ça d'un peu plus près. Dans un communiqué fracassant publié le 10 mai dernier, cette empêcheuse de faire du business en rond a annoncé l'institution d'un «moratoire concernant l'installation des dispositifs de précision d'arrêt des cabines» (sauf pour les établissements recevant du public) et indiqué qu'un nouveau groupe de travail serait mis en place afin de «réexaminer la pertinence» de cette réglementation, et «le cas échéant, de proposer des solutions moins onéreuses». Fous de rage contre cette décision «démagogique et politique», qui «offre un bon prétexte aux copropriétaires pour surseoir à leurs obligations », les ascensoristes ont immédiatement répliqué que 40 % des accidents étaient dus à un défaut de précision à l'étage, et que tout ce temps perdu allait se payer très cher en cols du fémur fracturés et polytraumatismes invalidants. Mais, cette fois, leur mise en scène alarmiste n'a pas effrayé grand monde.
Allez, allez ! Même si on les prive de cet os à ronger, les pros du secteur seront malvenus de se plaindre. Depuis que la loi SAE a été promulguée, c'est peu de dire qu'ils ont bien profité de la situation. Certes, beaucoup d'entre eux ont travaillé avec honnêteté, en respectant scrupuleusement les préconisations officielles. Mais bien d'autres n'ont pas hésité à imposer des travaux inutiles, en laissant croire qu'ils étaient obligatoires. Face à des copropriétés perdues dans le maquis des textes, ce n'était vraiment pas difficile. D'autant qu'ils bénéficiaient du soutien de certains syndics, qui, rappelons-le, sont payés,-au pourcentage des chantiers (2% à 5%).
Dans cet immeuble de Massy-Palaiseau doté d'une petite cage élévatrice, par exemple, il a fallu toute la vigilance d'un copropriétaire adhérent à l’ARC pour éviter que ne soit installé à grands frais un parachute de montée (un mécanisme qui freine la cabine en cas d'emballement). La loi rend cet équipement obligatoire, c'est vrai, mais seulement pour les grosses cabines. Encore fallait-il le savoir...
Des histoires comme ça, il y en a plein la France. Là, c'est le local à machinerie qui a été entièrement refait alors que rien ne le commandait; ici, ce sont des systèmes de verrouillage électroniques inutilement sophistiqués qui ont été fourgués à une copropriété populaire du XXe arrondissement de Paris ; ailleurs on a posé pour rien des rambardes sur les toits des cabines et refait entièrement le grillage d'encloisonnement, dont les mailles étaient soi-disant trop larges pour être aux normes. Quand ils se mettent à jouer du pipeau, les ascensoristes forment un sacré orchestre.
Et quand ils gonflent les factures, c'est encore pire. Pour se faire une idée des pratiques de certaines entreprises liftières, le mensuel Que choisir a épluché il y a quelques années 450 devis relevés dans toutes les régions de France. Les conclusions de son étude3 ont de quoi faire frémir. En moyenne, la note supportée par les copropriétés pour la seule première tranche de rénovation atteint 22000 euros. Et ce chiffre ahurissant masque d'énormes disparités, puisque les prix demandés pour une prestation exactement semblable peuvent varier de 82%. Pour un même nombre d'étages et une même charge d'appareils, relève Que choisir, le coût de remplacement de l'armoire de commande oscille par exemple entre 7.800 et 12500 euros. Et celui de la pose d'une serrure de porte palière peut aller de 25 à... 1275 euros, en fonction de la sophistication retenue - ou plutôt imposée de facto par le professionnel, sous couvert de mise en conformité obligatoire. Quant aux détecteurs de présence destinés à éviter que la porte de la cabine ne se referme sur ses occupants, leurs prix tiennent carrément du délire : ils oscillent entre 240 et... 19 040 euros, là encore en fonction de la technicité du matériel choisi.
Si les ascensoristes font valser aussi facilement les tarifs, c'est que la concurrence n'est pas vraiment redoutable dans leur secteur. D'abord parce que les délais de réponse très courts imposés par la réglementation pour les appels d'offre ne permet pas vraiment aux PME d'entrer dans le jeu. Et puis parce que les quatre grands n'ont pas pour habitude de se mordre les jarrets. «Ils s'entendent à merveille pour se partager le marché», grince Bruno Dhont. À preuve, le 21 février 2007, la Commission européenne les a condamnées conjointement (avec la filiale néerlandaise de Mitsubishi Electric) à 992 millions d'euros d'amende pour entente illicite en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne. Et leurs filiales françaises avaient déjà été épinglées par la justice en 1986, pour «action concertée ayant pour objet et ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence».
Pas étonnant que les pouvoirs publics soient un peu gênés aux entournures. Et que, depuis le vote de leur loi démentielle, ils n'aient cessé de reporter les dates limites des travaux qu'ils avaient eux-mêmes fixées, au grand dam des pros de la cabine. La phase I, qui devait initialement se terminer en 2008, a ainsi été allongée jusqu'en 2010, la phase II, qui devait se clore en juillet 2013, a été reportée d'un an, et la troisième, censée se terminer en 2018, court désormais jusqu'en 2021. Mais elle court toujours... ».