Depuis l’entrée sur le marché de la start-up Matera (ex. illiCopro) qui propose des services d’assistanat aux syndicats coopératifs, s’est enclenchée une guerre commerciale avec les représentants des professionnels de l’immobilier.
Ce qui est risible est que ces deux acteurs affirment défendre la même cause qui est celle des copropriétaires. Or, il ne faut pas être dupe leur objectif premier est de défendre leur part de marché, sachant qu’aujourd’hui Matera récupère des copropriétés qui étaient auparavant gérées par des syndics professionnels.
A ce titre, les représentants des professionnels ont engagé plusieurs actions afin de paralyser la société Matera dans le développement de son activité.
Cela a commencé par un recours auprès la répression des fraudes qui n’a pas aboutie, puis devant le tribunal de commerce qui a récemment rendu une décision qui condamne sévèrement la société Matera sans pour autant l’empêcher de continuer son « business ».
A présent, aussi bien les professionnels de l’immobilier que la société Matera revendiquent leur victoire judiciaire, démontrant encore une fois le même usage démagogie utilisé pour interpréter à leur avantage les évènements et en l’occurrence la dernière décision rendue par le tribunal de Commerce.
Essayons de prendre de la hauteur en analysant la décision judiciaire et plus généralement les enjeux qui en découlent.
I. Une condamnation de Matera pour leur campagne publicitaire dénigrante.
Le principal grief reproché à Matera est sa communication publicitaire qui se base sur une approche dénigrante et humiliante à l’égard des syndics professionnels.
En effet, n’ayant pas une offre de service révolutionnaire, la société Matera a plutôt dirigé son approche commerciale en affichant des clichés sur ce que l’on pouvait reprocher à un syndic professionnel.
C’est dans ce cadre que la FNAIM, Foncia et l’ANGC ont engagé une action judiciaire devant le tribunal de commerce qui a rendu son jugement le 24 janvier dernier.
Ce jugement confirme l’usage de pratiques illégales pour se faire connaitre auprès du public et en particulier des copropriétaires.
Ainsi, le tribunal de commerce condamne la société Matera au motif :
- d’actes de concurrence déloyale sous forme de dénigrement envers les syndics professionnels ,
- de pratiques commerciales déloyales et trompeuses envers les syndics professionnels.
Si les professionnels peuvent se réjouir de cette décision, dans les faits le mal est fait !
Et pour cause, la campagne publicitaire choque utilisée par Matera était un moyen pour se propulser et obtenir une caisse de résonnance qu’il n’aurait pas pu avoir obtenir s’il avait uniquement mis en avant le logiciel que cette société a développé.
Ainsi, le pari de la société Matera était de risquer une action judiciaire et même d’être condamnée à payer plusieurs dizaines de milliers d’euros si entre temps elle récupère rapidement des milliers de copropriétés qui lui permettent de dégager un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions d’euros. Il semble que le pari ait été concluant.
Une stratégie commerciale qui peut choquer, mais qui encore une fois est inspirée des grands groupes de syndic.
En effet, on a connu le temps où les syndics professionnels facturaient jusqu’à 5 000 euros pour procéder à l’immatriculation initiale des copropriétés, ce qui leur a permis de dégager des marges substantielles de plusieurs centaine de milliers d’euros en risquant qu’une ou deux copropriété engage une action y compris judiciairement pour demander le remboursement.
Il s’agit tout simplement d’un rapport gain/risque où la condamnation judiciaire est le moindre mal.
II. Matera paralysée mais pas neutralisée.
L’autre grief évoqué par les professionnels devant le tribunal de commerce à l’encontre de Matera est exercice illégal de la profession de syndic.
Ils considèrent que Matera substitue le syndic non professionnel dans ses fonctions de gestionnaire de copropriété.
Le juge n’a pas suivi cette analyse en confirmant de Matera ne s’est pas rendu coupable d’exercice illégal de la profession de syndic.
Il s’agit là d’un soulagement et même d’une première victoire pour Matera qui peut donc continuer son activité d’assistanat aux syndics non professionnels et syndicats coopératifs.
Néanmoins, là où la situation risque de se compliquer est que la société Matera ne pourra plus utiliser sa communication démagogique qui consiste à rabaisser les syndics professionnels pour se présenter comme plus performant.
Ainsi, Matera devra être transparent sur son offre d’assistanat aux syndics non professionnels en devant répondre aux interrogations suivantes :
- Qui rentre l’immeuble en informatique?
- Qui s’occupe de prendre le contrôle du compte bancaire du syndicat des copropriétaires ouvert par le précédent syndic?,
- Qui prévient les fournisseurs du changement de syndic?,
- Reprendre des exercices comptables non approuvés pour 200€ TTC sans limitation de taille d’immeuble n’est pas raisonnable,
- Qui passe les écritures comptables (le contrat est très léger sur les obligations de MATERA en la matière)?,
- Est-ce que le syndicat des copropriétaires a le choix de son établissement bancaire et quid de la gestion des chèques?,
- Qui rentre les IBAN des fournisseurs et qui déclenche les paiements?,
- Qui fait les rapprochements bancaires (il est suggéré qu’ils se font automatiquement)?,
- Qui envoi matériellement les lettres RAR des convocations et des procès-verbaux d’assemblée générale?,
- Qui s’assure que le syndic (président du conseil syndical) soit clairement identifié (le contrat est signé par le syndicat des copropriétaires sans mention de son représentant légal) et que la durée des mandats ne soit pas dépassée?,
- Est-ce qu’un processus d’information de tous les copropriétaires est prévu en cas de carence manifeste des membres du conseil syndical?,
- Quid de l’assurance représentation des fonds?,
- Qui remplit les états datés au-delà de l’aspect comptable?,
- Le contrat ne fait aucune mention de l’assurance Responsabilité civile du syndic?,
- Qui passe les Ordres de service…?
III. L’analyse de l’ARC
L’approche de Matera est de se présenter comme le justicier qui souhaite se battre contre les méchants syndics professionnels qui n’ont comme seul objectif d’augmenter les profits et la rentabilité du groupe, quitte à léser les copropriétaires.
Néanmoins, il est clair qu’une start-up comme Matera qui est une société commerciale financée par des fonds de pension et qui a levé dernièrement 35 millions d’euros pour devenir le leader de la gestion de copropriété en Europe, à une stratégie de développement bien réfléchie .
La question qui reste en suspens est donc de saisir le réel modèle économique de cette start-up afin de comprendre à quelle sauce les copropriétés risquent d’être mangées.
Cette interrogation est d’autant plus opportune que Matera revendique assister 4 000 syndics non professionnels pour un effectif de 300 employés.
Or, en considérant que le salaire annuel moyen est de 70 000 euros chargé et que le tarif moyen facturé à une copropriété est de 5 000 euros, le model économique de la société Matera ne serait pas rentable ou dégagerait des marges extrêmement marginale.
Il est donc vraisemblable que la stratégie commerciale de Matera ne va pas se limiter à vendre de l’assistanat aux syndics non professionnels, mais d'utiliser les mêmes stratégies commerciales développées par les syndics professionnels pour augmenter leurs profits.
Plus que cela, compte tenu du fait que Matera n’est pas concerné par la loi Hoguet qui encadre les professions de l’immobilier, cette société pourra développer différents marchés et activités commerciales qui sont interdits aux syndics.
D’ailleurs, dans un récent courrier de la Direction Départementale de la Protection des Populations, cette dernière a confirmé que Matera est également courtier en assurance, ce qui lui permettra de vendre des contrats d’assurance aux copropriétés qui sont gérées par les syndics non professionnels qui l’assistent.
Ainsi, selon notre analyse la réelle stratégie de Matera est de capter des copropriétés, pour ensuite déployer ses tentacules en proposant divers services qui permettront d’augmenter considérablement les profits du groupe au grand bonheur des investisseurs.
Mais dans tout cela on oublie un acteur fondamental surtout pour l'ARC qui est : le syndicat des copropriétaires et sa protection
En effet, nous reproduisons ici la réponse de la Direction Départemental Protection de la Population sur la réelle activité de Matera qui doit être claire pour l’ensemble des copropriétaires qui souhaitent solliciter les services de cette structure :
Ainsi, Matera n’est :
- ni syndic;
- ni gestionnaire;
- ni secrétaire du syndic,
mais un vendeur de logiciel qui met à disposition une équipe pour aider ses clients en cas de question sur diverses thématiques.
Pour conclure, au-delà de la « gue-guerre » entre Matera et les professionnels, les copropriétaires et les syndics non professionnels qui sont séduits par la communication de Matera doivent exactement comprendre en quoi consiste leur offre et surtout ce qu’ils devront réaliser et même assurer à défaut d’engager leur responsabilité.
A suivre…