Il faut réintroduire le « fonds travaux » dans la loi A.L.U.R. : le Conseil d’État a été insuffisamment « informé »

18/07/2013 Actions Action

Il faut réintroduire le « fonds travaux » dans la loi A.L.U.R. : le Conseil d’État a été insuffisamment « informé »

 
 
Nous sommes la première association de conseils syndicaux et de syndics bénévoles de France, en première ligne dans la bataille quotidienne pour la rénovation des copropriétés (dont la rénovation énergétique) y compris des copropriétés, copropriétés fragiles ou en difficulté (dont le nombre s’accroît en raison précisément du manque d’entretien).
 
Nous avons donc été littéralement catastrophés en apprenant que le Conseil d’État avait fait retirer du projet de loi A.L.U.R. les dispositions concernant le fonds travaux, l’audit global et le plan pluriannuel de travaux.
 
Le fonds travaux - mis en avant comme dispositif essentiel par le Président de l’ANaH, Dominique BRAYE dans un rapport qui a fait date (février 2012) - s’est depuis dix ans imposé à tous les acteurs de la copropriété - comme LE dispositif permettant de résoudre la situation galopante de dégradation et de paupérisation d’une part grandissante du parc de la copropriété.
 
Or, le Conseil d’État a rayé d’un trait de plume les articles proposés.
 
Nous avons donc voulu en connaître les motivations, qui nous ont été communiquées par un responsable de la DHUP.
 
Nous nous sommes alors aperçus que le rejet du Conseil d’État reposait sur un manque d’information bien compréhensible :
 
  • concernant la mesure elle-même et son impact ;
  • concernant le contexte juridique ;
  • concernant la situation actuelle des copropriétés.
 
Nous avons donc rédigé une note qui permet de réintroduire en toute sécurité la proposition, en modifiant simplement le libellé même du « fonds travaux » (baptisé par erreur « fonds de prévoyance » dans l’avant-projet de loi).
 
 
Voici donc cette note.
 
 
 
 
Le fonds travaux et le Conseil d’État
 
 
Introduction
 
Alors que l’avant-projet de loi A.L.U.R. (Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové) avait prévu de rendre obligatoire (comme dans la loi Québécoise) la création d’un fonds travaux – permettant de faciliter le moment venu le paiement des travaux visés par l’article 14-2 de la loi de 1965 et par l’article 44 du décret du 17 mars 1967 – le Conseil d’État a écarté l’article correspondant pour les motifs suivants :
 
  • il a d’abord estimé qu’une obligation générale et systématique de provisionnement imposée à tout copropriétaire constituait une atteinte disproportionnée au droit de propriété, en particulier à la libre disposition de ses biens, ainsi qu’au principe de liberté résultant de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ;
 
  • il a ensuite estimé que cette obligation était incompatible avec l’objectif général de simplification du droit.
 
Nous allons essayer de montrer pourquoi l’approche du Conseil d’État a pu être perturbée par un certain déficit d’information concernant ce projet et son contexte, et comment il est possible de maintenir l’essentiel de la proposition initiale sans déroger aux principes auxquels le Conseil d’État se réfère.
 
 
I. Retour sur la situation actuelle
 
  1. Il convient d’abord de rappeler que – depuis le 31 décembre 2000 (Loi SRU) - toutes les copropriétés sont astreintes à voter chaque année un budget prévisionnel et à appeler auprès des copropriétaires des  provisions pour les charges courantes visées par l’article 14-1 de la loi de 1965.
Ces budgets sont établis pour faire face à des dépenses certaines, mais non encore chiffrables.
 
Précisons que ce fonctionnement a heurté – au départ – de nombreux copropriétaires qui ne comprenaient pas pourquoi ils devaient acquitter des « provisions » pour des charges non connues encore avec certitude.
À noter aussi que ce dispositif est rentré totalement dans les mœurs et qu’il est devenu un outil de gestion rigoureuse et maîtrisée au service des copropriétaires.
 
  1. Il convient ensuite de rappeler que la même loi SRU a défini par le biais de l’article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965 (qu’elle a modifié ainsi que son décret d’application) une nouvelle catégorie de charges concernant les travaux dits « autres que les travaux de maintenance », c’est-à-dire des travaux de conservation ou d’entretien destinés à rénover les ouvrages, réseaux dégradés par le temps et équipements.
Ces travaux sont des travaux qui devront se faire de façon « certaine » et qui sont indispensables au maintien en l’état des immeubles.
 
  1. La loi SRU n’ayant pas pu tout réformer d'un coup n’a prévu aucune obligation de de voter un budget provisionnel pour les travaux non courants, comme elle l’a fait pour les charges courantes.
 
Il convient néanmoins - de l’avis de tous, représentants des copropriétaires comme des professionnels - d’achever le travail commencé par la loi SRU et d’introduire dans la loi :
  • une logique de provisionnement des travaux de l’article 14-2, qui sont des travaux « certains » ;
  • une logique de programmation de ces travaux.
 
Ceci est d’autant plus nécessaire que les copropriétés connaissent aujourd’hui une dégradation accélérée comme l’a révélé un rapport SOCOTEC-PACT réalisé pour le compte de l’ANaH en 2011, du fait d’un manque de gros entretien, précisément lié à une absence de programmation et de provisionnement.
 
II. L’avant-projet de la loi A.L.U.R.
 
Le système de programmation et de provisions que le projet de loi A.L.U.R. voulait introduire doit se comprendre comme un dispositif garantissant :
 
  • une prise en compte du gros entretien (travaux de l’article 14-2) ;
  • une anticipation propice à la programmation et à la maîtrise des coûts.
 
L’avant-projet de loi A.L.U.R. n’allait d’ailleurs déjà pas tout à fait au bout de la logique de gestion des copropriétés qu’il aurait fallu introduire. En effet il aurait dû :
 
  • imposer la mise au point d’un plan pluriannuel tenant compte de l’usure du bâtiment et des équipements ;
  • imposer la mise en place d’un calendrier d’appel de provisions permettant de faire face à ces dépenses.
 
(les Québécois viennent d’ailleurs de réformer en ce sens leur loi).
 
Or, le projet – très raisonnable – se contentait :
 
  • d’imposer la mise en place d’un fonds d’intervention minimum pour travaux de l’article 14-2 ;
  • de fixer ce minimum à 5 % du budget prévisionnel de charges (en prenant pour exemple la législation du Québec de 1994...), ce qui revient à imposer un montant très faible.
 
Il faut savoir, en effet, que le montant moyen annuel des charges courantes est de 2.000 euros en France en 2012 ; dès lors un montant de 5 % représente (en moyenne) 100 euros par logement et par an, ce qui est très loin des sommes nécessaires pour faire face à l’usure d’un bâtiment, de ses équipements et des réseaux.
Comme on le voit et comme on va encore le voir plus loin, lorsque le Conseil d’État parle d’atteinte disproportionnée au droit de copropriété, c’est qu’il y a malentendu sur ce quantum.
 
III. Réponse aux objections du Conseil d’État
 
Nous allons maintenant répondre à trois questions essentielles et montrer que cet avant-projet ne contrevennait à aucun des principes mis en avant par le Conseil d’État.
 
  1. Pourquoi le principe de provisionnement pour travaux futurs de l’article 14-2 PRÉVU par l’avant projet de loi A.L.U.R. ne saurait constituer une atteinte DISPROPORTIONNÉE au droit de PROPRIÉTÉ ?
 
  • Si le projet avait obligé les syndicats de copropriétaires à provisionner les sommes effectivement nécessaires et donc parfois importantes pour faire face entièrement à l’usure des bâtiments, de leurs réseaux et de leurs équipements, on aurait pu comprendre le Conseil d’État (c’est d’ailleurs certainement ce que les membres du Conseil d’État ont cru de bonne foi, faute d’avoir évalué le poids réel des 5 %).
 
  • Or, une obligation d’avoir à provisionner une somme très faible pour des travaux certains et indispensables, obligation destinée à lever des blocages aujourd’hui de nature à mettre en péril l’intégrité de nombreuses copropriétés, ne peut être considérée comme une atteinte disproportionnée au droit de propriété (on va voir d’ailleurs que c’est plutôt le contraire qui est vrai).
 
Cette obligation minimum permet simplement d’aider une collectivité de copropriétaires de plus en plus hétérogène à assumer ses obligations (article 14 de la loi de 1965 : « Le syndicat des copropriétaires a pour objet la conservation de l’immeuble ») et à préparer plus facilement les travaux inévitables :
 
  • en facilitant le moment venu le financement pour tous, y compris les plus modestes ;
  • en aidant à une anticipation adaptée, rigoureuse et maîtrisée financièrement des travaux de « conservation ».
 
  1. Pourquoi le dispositif envisagÉ contribuerait-il à assurer le droit des COPROPRIÉTAIRES à jouir librement de leur bien ?
 
En effet on peut affirmer que la mesure prévue dans l’avant-projet permettrait de parer aux atteintes intolérables au droit de propriété que cause le refus de certains copropriétaires (ou l’impossibilité où ils sont) de faire face aux travaux nécessaires de gros entretien, refus qui entraîne des situations graves :
 
  • d’insalubrité voire de péril ;
  • de précarité énergétique :
  • plus généralement de mal-logement, pour reprendre la terminologie de la Fondation Abbé Pierre.
 
Autre point : une des sources des blocages actuels au vote des gros travaux d’entretien vient de ce que le temps moyen minimum de possession d’un bien en copropriété n’est que de huit ans. Dès lors beaucoup de copropriétaires cherchent à n’engager aucun gros travaux avant la revente de leur bien, au risque de vendre à leurs acquéreurs un bien situé dans un immeuble qui présente des déficits d’entretien non perceptibles, mais susceptibles de porter atteinte aux conditions de jouissance de ce bien.
 
Ce projet de loi allait donc totalement dans le sens du droit de propriété et de son exercice normal.
 
  1. Pourquoi ce projet va bien dans le sens de la simplification du droit et non dans le sens contraire comme le pense le Conseil d’État ?
 
Le Conseil d’État n’est peut-être pas informé que la loi actuelle prévoit déjà la possibilité pour une copropriété de voter des provisions pour les travaux non encore décidés « susceptibles d’être nécessaires dans les trois années à échoir » (article 18-5 de la loi de 1965).
 
Or cet article de loi entraîne des complexités et difficultés que – précisément - le projet de loi A.L.U.R. résolvait :
 
  1. En fonction de l’article 18-5, si au cours des trois années suivant la décision, aucun travaux n’était fait, il faut rembourser les sommes ou faire revoter la création du fonds, vote pouvant s’avérer négatif ; l’article 18-5 est donc inapproprié et – de ce fait – très peu utilisé (à peine 5 % des syndicats de copropriétaires ont voté ce fonds selon une étude du PUCA réalisée en 2013) ;
 
  1. par ailleurs, les « provisions » visées par l’article 18-6 ont été déclarées par l’article 45-1 du décret être, non pas des « provisions » affectées au lot, mais des « avances » attachées à la personne et donc remboursables en cas de vente. Dès lors en cas de vente il faut rembourser l’avance et reconstituer celle-ci auprès de l’acquéreur, sans que celui-ci ait pu intégrer cette avance à son prêt !
 
On le voit l’article 18-5 est complexe ET inadapté et l’avant-projet de loi A.L.U.R. venait corriger cette situation.
 
C’est donc forcément parce qu’ils n’avaient pas été mis au courant de ces particularités que les juges du Conseil d’État ont pu penser que la loi A.L.U.R. n’allait pas participer à la simplification du droit. En fait en instituant un fonds pour les travaux futurs de l’article 14-2 (sans la limitation des trois ans) et en précisant que ce fonds constituait bien des « provisions » attachées au lot l’avant-projet A.L.U.R. tel qu’il était présenté allait bien dans le sens de la simplification du droit.
 
En résumé, nous dirons que les juges du Conseil d’État n’ont pas été suffisamment informés :
 
  1. du caractère très modeste (voire symbolique) de la provision minimum pour travaux futurs de l’article 14-2 prévu par l’avant-projet de loi A.L.U.R. ;
 
  1. des blocages de plus en plus forts à l’engagement des gros travaux pour la majorité des copropriétaires, venant en partie du très fort turn-over dans les copropriétés, blocage susceptible de porter gravement atteinte aux conditions de jouissance de leur bien par les autres copropriétaires, donc au droit de propriété ;
 
  1. du fait que le système de provisions avait été instauré par la loi SRU pour les charges courantes et qu’il fallait donc enfin commencer à introduire un système de provisionnement AUSSI pour les travaux de l’article 14-2, ceci pour les mêmes raisons (prévisions, lissage, maîtrise) ;
 
  1. des défauts de l’actuel article 18-5 de la loi de 1965.
 
Du fait d’une information insuffisante sur ces points, les juges du Conseil d’État ont pu croire de bonne foi qu’il y avait une atteinte disproportionnée portée au droit de propriété et absence de participation de l’avant-projet de loi A.L.U.R. à la simplification du droit.
 
 
IV. Corriger légèrement l’avant-projet de loi
 
 
Le projet comporte une maladresse sémantique qui a dû troubler le Conseil d’État et qui est très facilement amendable.
 
Ce projet parle, en effet, de « fonds d’épargne », ce qui est un tort, car il laisse à penser qu’on obligerait les copropriétaires à « épargner », ce qui n’est pas l’objet d’un syndicat des copropriétaires.
 
De même qu’on n’« épargne » pas pour payer les charges courantes, mais qu’on « provisionne », de même on n’« épargne » pas pour les travaux de l’article 14-2 mais on commence à « provisionner », très modestement de surcroît.
 
Nous avions déjà signalé nos réserves sur ce terme. De notre côté nous utilisons le terme : « fonds travaux ».
 
On pourrait peut-être corriger ainsi le projet : « fonds travaux destiné à financer les travaux de l’article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965 ».
 
 
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ARC - juillet 2013.