L’action de l’ARC auprès des copropriétés en difficulté porte ses fruits : un chapitre consacré aux copropriétés dans le rapport annuel sur le « mal logement » de la Fondation Abbé Pierre
C’est aujourd’hui qu’est publié le rapport annuel sur le « mal logement » de la Fondation Abbé Pierre, et pour la première fois, un chapitre entier est consacré au mal logement dans les copropriétés.
Evidemment, ce chapitre s’appuie sur le travail réalisé par l’ARC avec la Fondation Abbé Pierre et grâce à l’expérience de nos deux « spécialistes », Sylvaine LE GARREC, Chercheuse à l’ARC, et Estelle BARON, Responsable « copropriétés en difficulté ».
Grâce à ce rapport qui met la lumière sur la situation de nombreuses copropriétés en France, la presse commence à se faire l’écho des actions comme celles menées par l’ARC pour aider ces copropriétés. En voici un premier exemple issu du site de Libération.
Les mal-logés peuvent aussi être propriétaires
31 janvier 2014 à 15:33
INTERVIEW
Estelle Baron, de l’Association des responsables de copropriété, s'alarme du nombre croissant de copropriétés en difficulté, pointé par le rapport sur le mal-logement de la fondation Abbé-Pierre.
«Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée cette nuit à 3 heures» : le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait un appel sur les ondes pour les sans-abri qui devait devenir le symbole de son combat pour le droit au logement. C’était il y a soixante ans. «Si la situation actuelle du logement dans notre pays ne peut être comparée à celle que la France connaissait en février 1954, les difficultés que rencontrent les plus mal logés s’en approchent ; et pour les plus fragiles d’entre eux, rien n’a vraiment changé», écrit Raymond Etienne, le président de la fondation Abbé-Pierre dans son rapport annuel, publié ce vendredi, sur l’état du mal-logement en France.
Comme chaque année, les chiffres donnent le tournis : 141 500 personnes n’ont pas de domicile, 85 000 vivent dans des cabanes, caravanes et autres habitats de fortune. 411 000 sont logés chez des tiers (famille ou amis), faute de mieux. Il y a aussi ces familles, pourtant propriétaires de leur logement, mais qui vivent dans des habitats insalubres, parfois privés d’eau et de chauffage. Pour la première fois, la fondation Abbé-Pierre se penche sur le problème croissant des copropriétés en difficulté, ces immeubles, situés en périphérie ou au cœur même des villes, qui se dégradent à vue d’œil car les propriétaires occupants ne parviennent plus à faire face aux charges, ni à réaliser les travaux nécessaires pour remettre le bâtiment en état.
Estelle Baron, chargée de mission à l’Association des responsables de copropriété (Arc), aide chaque jour les copropriétaires dans la panade. Elle a d’ailleurs été auditionnée dans le cadre du rapport de la fondation Abbé-Pierre.
Selon le rapport, dans certaines copropriétés, le taux de pauvreté est bien plus important que dans les HLM…
C’est en effet une réalité. Une copropriété en difficulté est un parc social de fait. Faute de places suffisantes dans les HLM, les gens se rabattent sur ces immeubles. Cela peut surprendre, mais il est parfois plus facile d’acheter un appartement que de louer. Consultez les petites annonces, vous verrez : certains appartements ne valent rien du tout. Quand vous êtes un minimum averti et que vous avez les moyens d’acheter ailleurs, vous comprenez vite qu’il y a quelque chose qui cloche et vous ne vous faites pas avoir.
Mais, certaines personnes n’ont pas le choix. Vous êtes depuis dix ans sur liste d’attente pour un HLM à Paris, vous vivez à cinq dans un T1. Vous vous tournez vers le parc privé pour louer, mais aucun propriétaire ne veut de vous, vos garanties ne sont pas suffisantes. Vous faites le tour des agences, et là, on vous propose un F4 à vendre à Clichy-sous-Bois, pour un remboursement de 500 euros par mois. Le même prix que pour votre T1 à Paris… Vous fermez les yeux et vous foncez, de toute façon, vous n’avez pas d’autre choix. Sauf que l’agent immobilier oublie de vous dire qu’en plus des 500 euros de remboursement, vous aurez aussi 300 euros de charges…
Et les banques acceptent ces emprunts ?
Oui, les banques connaissent très bien la situation et le montant des charges, mais elles acceptent malgré tout l’emprunt, car elles savent que quoi qu’il en soit, elles y gagneront. Le prêt est accordé sous hypothèque. Si vous ne pouvez plus payer, elles seront les premières à se servir. Je gère tous les jours des saisies immobilières, je sais comment cela se passe. Les banques se servent d’abord, la copropriété arrive ensuite et ne récupère jamais toutes les sommes dues. La dette retombe sur vos voisins ! Vous avez des gens qui vivent en grande pauvreté, complètement pris à la gorge par les charges. Ils arrivent à faire face, au prix d’importants sacrifices et là, on vient les voir en leur disant qu’il leur faut aussi payer l’ardoise laissée par leur voisin de palier… On se retrouve avec des propriétaires captifs de leur logement dégradé et qui n’arrivent même plus à vendre.
Combien y a-t-il de copropriétés ainsi en grande difficulté ?
On considère qu’une copropriété est en difficulté à partir du moment où la situation justifie l'intervention des pouvoirs publics pour aider ses habitants. Il faut savoir que pendant très longtemps, en France, il n’existait pas de dispositifs pour secourir les occupants de ces immeubles en délabrement. On considérait que l’Etat n’avait pas à intervenir dans l’habitat privé. On a commencé à en parler dans les années 1980, mais ce n’est qu’à partir de 1994 que des outils d'intervention (OPAH, puis plan de sauvegarde) ont été intégrés dans la loi. Le discours a changé, on a alors considéré que ne rien faire revenait à de la non-assistance à personne en danger. Entre 2006 et 2010, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) a aidé 1 068 immeubles à se redresser.
Mais à ces copropriétés en difficulté, il faut ajouter toutes celles qui sont considérées comme fragiles, c’est-à-dire au bord de basculer. On estime aujourd’hui que 15% des 565 000 copropriétés en France (ce qui représente 8 millions de logements) vont avoir du mal à faire face à leurs charges, et donc avoir potentiellement besoin d’aide.
Quelles sont les caractéristiques de ces immeubles ? A quoi les reconnaît-on ?
Il n’y a pas de règle, ni vraiment de type d’immeuble. On trouve des copropriétés fragiles dans les centres-villes comme en périphérie de grandes agglomérations. Certains ne comptent que quelques appartements, d’autres sont des grandes barres avec des centaines de logements.
On peut tout de même lister des facteurs aggravants. Par exemple, tous les projets immobiliers type loi Scellier, Robien ou Borloo. Même les flambant neufs, on sait à l’avance qu’il va vite y avoir des problèmes. Pourquoi ? Les propriétaires ne sont pas occupants, donc moins impliqués dans la gestion au quotidien, ce qui laisse la porte ouverte à une mauvaise gestion et aux dégradations prématurées des parties communes. Il y a aussi ces immeubles construits dans les années 1970 avec de grandes baies vitrées car à une époque, le chauffage ne coûtait rien. Ils sont aujourd’hui des passoires à calories. Souvent, en plus, ils ont des espaces verts qu’il faut entretenir, des ascenseurs, un gardien… Les charges de ces copropriétés explosent et beaucoup de familles n’arrivent plus à faire face. Du coup, ils retardent les gros travaux comme la toiture ou autre, ce qui n’est évidemment pas la solution.
Cela tient parfois à pas grand chose. Deux immeubles construits à la même époque, côte à côte, peuvent être, l’un, géré sainement et, l’autre, fragile. Il suffit qu’il y ait un commerce en rez-de-chaussée dans l’un, et du coup, des intérêts contraires. Comme s’opposer à tous les travaux pour ne pas nuire à son commerce, au risque de mettre en péril à terme l’immeuble.
Quand on achète un appartement, on n’est donc jamais à l’abri…
Il ne faut pas être alarmiste non plus. Il suffit de bien se renseigner auprès du vendeur : demander le procès-verbal et la convocation de l’Assemblée générale pour voir les gros travaux qui ont été faits et ce qu’il reste à faire. Vous êtes en droit également de consulter une copie des derniers appels de charge. Le notaire a l’obligation de vous communiquer ces informations au moment de la signature, mais on sait très bien que ce n’est pas le moment opportun. C’est souvent intimidant. Et puis, dans votre tête, l’achat est déjà acté, vous n’avez pas le recul nécessaire pour analyser les charges.
Acheter dans un immeuble, c'est entrer dans une collectivité, il faut donc vous impliquer, par exemple au sein du conseil syndical. Les copropriétés qui fonctionnent le mieux sont celles où les propriétaires sont le plus investis.