Mise en œuvre pratique de la disposition concernant les travaux d’intérêt collectif sur parties privatives
La loi Grenelle du 12 juillet 2010 prévoyait la possibilité de travaux d’intérêt collectif sur parties privatives, afin de faciliter la réalisation de travaux énergétiques performants en copropriété.
Un décret était attendu depuis 30 mois pour préciser l’application de cette disposition, décret signé le 3 décembre 2012.
Notre article fait le point sur ce sujet ainsi que sur les problèmes liés à ce décret.
I. Position du problème jusqu’à la parution du décret
En droit de la copropriété, il est impossible d’imposer à un copropriétaire des travaux d’amélioration concernant ses parties privatives. Comme on va le voir, cette situation peut avoir des conséquences négatives quand il s’agit de s’attaquer aux problèmes d’économies d’énergie.
Prenons le cas des fenêtres.
Les fenêtres sont des parties privatives. Le remplacement des fenêtres relevait donc de la décision individuelle de chaque copropriétaire et non pas d’une décision collective prise en assemblée générale. Cela a abouti à des situations irrationnelles, exemple : des façades d’immeubles composées de fenêtres aux caractéristiques, notamment énergétiques, très différentes. Ce qui pose deux principaux problèmes :
- Un problème de confort, malheureusement très fréquent, et particulièrement sensible en cas de chauffage collectif. En effet les logements équipés de fenêtres performantes gardent mieux la chaleur que les autres. Mais, comme le chauffage collectif délivre la même quantité de chaleur dans chaque logement, les logements avec des fenêtres peu performantes sont sous-chauffés, et les autres surchauffés. Dans certains cas (fréquents), le chauffagiste, assailli par les plaintes des occupants de logements sous-chauffés, augmente les températures, ce qui aboutit à une très grande surchauffe dans les logements équipés de fenêtres performantes (les occupants sont alors obligés d’ouvrir leurs fenêtres pour cette raison !), et donc à une surconsommation généralisée.
- Un problème de rendement énergétique en cas d’isolation thermique des façades. Dans un tel cas, on améliore grandement l’efficacité énergétique des murs, mais les fenêtres peu performantes constituent alors d’importants maillons faibles de la façade : la chaleur des logements s’échappe très facilement par ces fenêtres. On investit donc une somme conséquente pour isoler les murs extérieurs, mais sans bénéficier de toute l’économie possible (et on continue ainsi à subir les problèmes de surchauffe et de sous-chauffe).
On peut envisager ce sujet de différents points de vue : performance énergétique, bonne gestion, confort, relations de bon voisinage. Dans tous les cas, obtenir la même performance et qualité énergétiques pour chaque fenêtre permet de résoudre en grande partie tous ces problèmes.
Mais, comme on l’a dit, les fenêtres sont des parties privatives, et il était donc impossible jusqu’à présent d’imposer à un copropriétaire le changement des fenêtres.
II. La loi Grenelle
Pour résoudre ce type de problème, le législateur a donc souhaité - quand les économies d’énergie étaient en jeu - de permettre à l’assemblée générale de décider à une majorité normale (on verra laquelle) et non à l’unanimité des travaux concernant l’amélioration des parties privatives, telles que les fenêtres.
L’article 7 de la loi Grenelle permet ainsi à l’assemblée générale de décider, à la majorité de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965, la réalisation de travaux d’intérêt collectif sur parties privatives.
Le législateur a néanmoins prévu un garde-fou : si un copropriétaire a réalisé des « travaux équivalents » dans les dix années précédentes, il n’est pas concerné par la décision collective.
La loi - promulguée le 12 juillet 2010 - nécessitait un décret pour être applicable. C’est ce vide que le décret du 3 décembre 2012 vient de combler.
Nous allons voir maintenant comment le décret permet la mise en œuvre de ces dispositions (et découvrir quelques difficultés).
III. Le rôle essentiel du décret d’application
La loi étant forcément imprécise, un décret devait préciser :
- quels sont les travaux d’intérêt collectif concernés ;
- qu’est-ce qu’il fallait entendre par « travaux équivalents ».
IV. Le contenu « décevant » de ce décret longtemps attendu
1. Liste des travaux d’intérêt collectif sur parties privatives : une liste très réduite
Voici, selon le décret, les quatre types de travaux d’intérêt collectif sur parties privatives :
- amélioration des fenêtres, vitrages et volets (ou autres systèmes d’occultation extérieurs) ;
- pose de robinets thermostatiques ou d’équipements d’équilibrages de radiateurs ou de panneaux de sols ;
- réalisation de l’équilibrage de ces mêmes équipements ;
- mise en place d'équipements de répartition de frais de chauffage ou de compteurs d’énergie thermique.
Cette liste est assez réductrice : elle concerne en fait uniquement les fenêtres (et volets) et les systèmes de régulation privative (des radiateurs) ou la mise en place de répartiteurs ou compteurs. [Notons, d’ailleurs, que le lobby des vendeurs de répartiteurs a (une fois de plus) bien manœuvré. Il était, en effet, inutile de revenir sur les répartiteurs de frais de chauffage et des compteurs puisque la pose de ces équipements est déjà prévue par la loi et par un autre décret ! Par ailleurs (et en passant), disons qu’il ne s’agit pas de « travaux privatifs d’intérêt collectif », mais plutôt de travaux collectifs d’intérêt privatif].
A noter : que cette liste aurait pu être plus longue (exemple : tenir compte des portes palières ; poser le problème de la fermeture des loggias).
2. Le délai des dix ans
Le délai des dix ans - qui permet au copropriétaire de refuser le remplacement de ses fenêtres ou autres parties privatives (exemple : volet) s’il a réalisé des travaux équivalents il y a moins de dix ans - a disparu du décret.
Néanmoins, celui-ci étant dans la loi, il reste bien sûr applicable. Conséquence : si l’assemblée générale a décidé l’installation de vitrages performants, un copropriétaire ayant changé ses doubles vitrages il y a onze ans ou plus ne pourra pas se soustraire au remplacement de ses doubles vitrages.
3. La notion d’équivalence : le silence du décret
La notion d’équivalence n’est malheureusement pas précisée dans le décret. Ce qui est très curieux car - dans la pratique - il est important de savoir de quoi l’on parle quand on parle de « travaux équivalents ». Parle-t-on de travaux DE MÊME TYPE ou de travaux aboutissant AUX MÊMES PERFORMANCES ?
Exemple : si un copropriétaire a installé dans les dix dernières années des doubles vitrages de moins bonne performance que ceux que l’AG a décidé d’installer, doit-on considérer :
- qu’il s’agit de travaux équivalents ? En effet ce copropriétaire a déjà installé des doubles vitrages ;
- qu’il ne s’agit pas de travaux équivalents ? En effet, la performance de doubles vitrages vieux de 10 ans est bien moindre (grosso modo différence de performance d’environ 40 à 60 %) que les doubles vitrages actuels (dont la performance ne cesse progresser).
Le terme d’équivalence sera donc interprété par chacun à sa convenance, ce qui est tout de même assez singulier. Cela veut dire qu’un copropriétaire dont les fenêtres sont équipées d’un double vitrage peu performant datant d’il y a huit ans peut refuser de changer sa fenêtre. Mais cela veut aussi dire que l’on peut prendre au mot ce copropriétaire en considérant son double vitrage comme suffisamment performant, et équilibrer le réseau de chauffage en conséquence (le risque pour ce copropriétaire étant d’avoir froid…).
Comme on le voit le silence incompréhensible du décret sur ce point est lourd de conséquences.
4. La maîtrise d’ouvrage
Autre grosse difficulté concernant les travaux d’intérêt collectif sur parties privatives : le décret précise que « les copropriétaires concernés sont tenus de les réaliser ».
Or la loi stipule, au contraire, que pour ces travaux « le syndicat exerce les pouvoirs du maître d’ouvrage jusqu’à réception des travaux ». Le décret contredit donc la loi. Cette disposition du décret est donc (à proprement parler) illégale et - une fois encore -lourde de conséquences.
En effet, en stipulant que c’est chaque copropriétaire qui « fait » les travaux dans un délai raisonnable (donc un délai qu’il choisit) le décret laisse la direction des opérations à chacun, ce qui paraît totalement fantaisiste. Cela veut-il dire que chacun va « choisir » - par exemple - ses fenêtres, les commander de son côté et décider avec l’entreprise choisie (par lui seul ?) du jour où il fera procéder aux travaux.
Comment cela est-il compatible avec la loi qui précise que le syndicat des copropriétaires est « maître d’ouvrage » ?
Plus difficile encore : comment agir contre un copropriétaire qui ne fera rien ? Le syndicat des copropriétaires pourra-t-il simplement se « substituer » à lui ? Faudra-t-il engager une action judiciaire à son encontre pour l’obliger « à faire lui-même » ?
Encore plus curieux : alors que le décret précise que le syndicat des copropriétaires n’est plus concerné par la réalisation des travaux (qui concerne le seul copropriétaire), voilà que ce même décret inique néanmoins que le syndicat des copropriétaires « réceptionne » les travaux ? Or chacun sait qu’on ne peut réceptionner correctement que des travaux qu’on a pu suivre (surtout en matière d’étanchéité).
Bref, le décret semble non seulement déconnecté de la loi, mais aussi de la réalité... Et ce qui devait être une évolution facilitant les opérations groupées risque de se transformer en cauchemar collectif.
V. Comment résoudre les « discordances » entre loi et décret ?
Nous pensons qu’il est impossible de laisser la situation en l’état, étant donné les problèmes pratiques qui vont se poser et qui sont évoqués précédemment. C’est pourquoi nous avons décidé de saisir en urgence les ministères concernés et le Premier Ministre, signataire du décret pour demander une clarification urgente voire une correction du décret.
Nous vous tiendrons informés naturellement.