Les conditions de mise en cause de la responsabilité décennale du constructeur
La responsabilité décennale suppose, que l’ouvrage reçoive un usage conforme à son affectation ou d’une non-façon à une norme de construction impérative
La mise en cause de la responsabilité décennale du constructeur implique de démontrer dans le délai de dix ans, à compter de la réception de l’ouvrage, une malfaçon affectant la solidité de celui-ci.
Les acquéreurs d’un lot sur une résidence neuve sont de plus en plus confrontés à des désordres, qu’ils estiment imputables aux constructeurs ou aux assurances spécifiques obligatoires, à savoir la dommage-ouvrage ou la décennale de l’entreprise.
En l’absence de solution concertée avec l’une ou l’autre de ces polices impératives, le syndicat peut décider d’engager une action judiciaire civile notamment contre le constructeur et son assurance décennale pour les dommages relevés sur les parties communes.
La cour d’appel de Nouméa, dans un arrêt du 23 août 2021, rappelle les conditions requises pour la reconnaissance de la responsabilité civile de ces deux intervenants.
I. Responsabilité du constructeur et de sa décennale dans les malfaçons sur l’ouvrage : poursuite dans les dix ans de la réception pour des désordres affectant sa solidité
La réception d’une résidence neuve sise à Nouméa (98) affectée principalement à l’habitation, disposant de deux parkings (un aérien et un souterrain) et d’une buanderie collective, intervient le 5 novembre 1995.
Les copropriétaires relèvent divers désordres, notamment de fortes infiltrations, en cas de pluie, sur les voies d’accès au garage en sous-sol, imputées à un joint non étanche de dilatation (enterré) du parking extérieur.
Les constructeurs H. et leur assurance décennale écartant leur responsabilité en la matière, le syndicat habilite son syndic, afin d’obtenir de manière contradictoire une :
- expertise judiciaire constatant les dommages et les responsabilités. Suite à une ordonnance du 20 juin 2005 désignant un expert, celui-ci rend son rapport le 26 juillet 2007, préconisant des travaux pour faire cesser ces désordres ;
- condamnation en indemnisation de leur préjudice, moyennant une assignation au fond.
Un premier jugement du 2 mai 2011 du tribunal de première instance de Nouméa accueille la demande du syndicat et des copropriétaires.
Les deux parties condamnées recourent la décision de la juridiction civile inférieure et obtiennent son infirmation par un arrêt du 3 janvier 2017 de la cour d’appel de Nouméa.
Le syndicat et ces copropriétaires se pourvoient en cassation, la haute juridiction civile faisant droit à leur requête, par un arrêt du 3 mai 2018, pour défaut de motivation juridique, en renvoyant les parties à nouveau auprès de la cour d’appel.
Devant la cour d’appel de Nouméa, les parties réitèrent leurs arguments en ce qui concerne entre autre le joint de dilatation du parking, à savoir pour :
- le syndicat et les copropriétaires, une malfaçon de nature décennale, pour laquelle le constructeur et son assurance professionnelle doivent répondre, puisqu’elle affecte la solidité de l’ouvrage (art. 1792 al. 1 du Code civil et L 241-1 du Code des assurances) ;
- les constructeurs et leur assurance, un lien de causalité non établi, mais aussi et surtout une action prescrite, la responsabilité devant être recherchée au plus tard dans le délai de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage selon l’article 1792-4-1 du Code civil.
La cour d’appel de Nouméa dans son arrêt n° 18 - 00262 du 23 août 2021 rejette la responsabilité des constructeurs et leur assurance civile professionnelle au motif d’une prescription de l’action, au demeurant juridiquement litigieuse.
Ces juges déclarent l’action hors délai en raison d’une constatation des désordres par l’expert judiciaire en 2007, soit au-delà de la prescription intervenue le 5 novembre 2005 (dix ans à compter de la réception de l’ouvrage au 5 novembre 1995, l’arrêt comprenant d’ailleurs une erreur sur cette date, puisqu’il évoque un transfert de l’ouvrage au 5 novembre 1996).
Or, l’assignation du syndicat et des copropriétaires au 14 et 15 octobre 2004 (soit dans le délai des dix ans) interrompt en principe le délai de prescription selon l’article 2241 du Code civil : «…Il ressort de l’expertise, que le désordre au jour où l’expert a réalisé ses opérations (rapport complémentaire de 2007) ne compromettait pas la solidité de l’ouvrage ni sa destination. Il concluait que seule l’aggravation du processus de corrosion pouvait à terme entraîner une atteinte à la solidité.
Pour mettre en jeu la responsabilité décennale des constructeurs, il faut que l’atteinte à la solidité intervienne avec certitude dans le délai de 10 ans. En l’espèce, la garantie décennale est expirée depuis le 05/11/2005. Les constatations de l’expert ont été faites en juin 2007 soit au-delà du délai.
Dès lors, la mise en jeu de la responsabilité décennale ne peut être retenue… »
II. Responsabilité décennale du constructeur et de sa décennale : usage conforme à sa destination ou non-façon à une norme de construction impérative
Dans le cadre de ce contentieux, le syndicat et les copropriétaires se plaignent également des malfaçons imputables selon eux aux promoteurs et à leur assurance décennale, soit des :
- infiltrations dues à l’absence d’étanchéité sur les balcons et dans la buanderie commune ;
- fissures sur la dalle du parking aérien, en raison d’un vice de construction.
En défense, les promoteurs et leur police professionnelle opposent :
- l’absence d’obligation d’étanchéité sur les balcons et la buanderie selon les normes techniques de construction en vigueur ;
- un usage inadapté du garage en surface par des véhicules lourds excluant en premier lieu leur responsabilité civile (art. 1792 al. 2 du Code civil), et ce d’autant plus du caractère révolu du dommage à la suite d’une utilisation conforme à sa destination.
Dans son arrêt du 23 août 2021, la cour d’appel de Nouméa se range à l’argumentation juridique des constructeurs et de leur assurance, la responsabilité civile contractuelle impliquant par principe un dommage effectif, une faute exclusive de son auteur, ainsi qu’un lien de causalité entre les deux (art. 1147 du Code civil devenu depuis le 1231-1) : « …L’expert a constaté que les balcons terrasses n’ont pas reçu d’étanchéité sous le carrelage. Les buanderies sont protégées de l’extérieur par une paroi en lames « persiennées". Quand il pleut l’eau pénètre dans ce local compte tenu de sa conception. En l’absence d’étanchéité, les plafonds présentent des décollements de peinture ou des traces d’humidité.
Le syndicat des copropriétaires considère que le désordre évolutif est de nature décennale en ce qu’à terme il entraînera la corrosion des aciers des armatures.
Les consorts H. (constructeurs) rappellent comme explicité par l’expert qu’il n’existait aucune obligation de revêtir d’un complexe d’étanchéité les terrasses et buanderies et qu’il n’y a pas atteinte à la solidité de l’ouvrage.
Sur quoi,
Le désordre ne présente pas un caractère décennal. De surcroît, les règles de l’art qui n’imposaient aucune étanchéité obligatoire. Dès lors, la mise en jeu de la responsabilité décennale sera écartée…
L’expert a relevé que les têtes de poteaux dans le parking étaient éclatées et que les deux poutres présentaient une flèche importante, les dalles de la zone de roulement présentant de nombreuses fissures. Il conclut que l’ensemble des désordres n’étaient pas apparents à la réception. Il noté également qu’après être retourné plusieurs fois sur place il a constaté que les fissures traitées par un enduit visant à les cacher étaient réapparues et qu’il était clair que les poutres bougeaient sous l’effet de la circulation sur le parking extérieur.
La cause en est le fluage du béton et la surcharge permanente de la structure lors de la réfection de l’étanchéité de la dalle due à une erreur de calcul ce qui conduit à interdire l’accès au parking extérieur au poids lourds pour éviter que la structure ne souffre davantage (p. 22 remèdes)
L’expert conclut que le parking a été dimensionné uniquement pour recevoir des véhicules de types voitures légères et que le passage de véhicules lourds (camions poubelles, camions de déménagement) est la cause des désordres.
Les consorts H. estiment que le désordre a été réglé avec l’interdiction de la circulation des poids lourds et qu’aujourd’hui, il n’est fait état d’aucun désordre affectant la solidité de l’ouvrage, le parking étant quotidiennement utilisé par les résidents de l’immeuble
Le syndicat considère que le désordre est de nature décennale recouvrant à la fois un vice de construction et de conception. Il considère que le parking a vocation à recevoir la circulation de tous types de véhicules et que le seul fait que leur circulation soit à prescrire rend le bien impropre à sa destination.
L’assureur reconnaît qu’il y a atteinte à la solidité de l’ouvrage mais que le non-respect de la destination que les parties avaient initialement entendu donner à l’ouvrage (circulation réservée aux véhicules légers) exonère les constructeurs de toute garantie ; qu’en tout état de cause, le dommage a pu être réparé à temps pour un coût inférieur à 300 000 Fcfp (francs comptoirs français du Pacifique), les recommandations de l’expert ayant été suivies d’effet puisqu’il n’y a plus d’aggravation 15 ans après la réception.
Sur quoi,
Le désordre porte atteinte à la solidité de l’ouvrage. Toutefois s’agissant d’un parking aérien (il existe un autre parking), il devait être utilisé par les seuls résidents conformément à la configuration des lieux. L’usage abusif par des poids lourds (camions de déménagement ou camion poubelles) exonère les constructeurs. Au demeurant les mesures prises (travaux de consolidation et interdiction de circulation des poids lourds) ont permis de limiter les dommages… »
Si le constructeur et son assurance professionnelle sont notamment responsables de certaines malfaçons survenues dans les dix ans de la réception de l’ouvrage, cela suppose néanmoins qu’elles affectent la solidité de l’immeuble ou le rendent impropre à sa destination, mais aussi que l’usage qui en est fait par les résidents se révèle conforme à son affectation.
De même, le promoteur ne doit devoir à répondre des non-façons dommageables constatées ultérieurement, que si celles-ci enfreignent à titre principal des normes techniques obligatoires, voire des engagements stipulés expressément dans le contrat de réservation.