Les congés payés des gardiens et employés d’immeubles

28/04/2020 Actu juridique Actualité juridique

En cette période troublée que nous vivons, certaines questions se posent à propos des congés payés et en particulier à propos des congés payés des gardiens et employés d’immeubles.

Est-il possible d’imposer des congés payés ?

La question est de savoir s’il est possible d’imposer la prise de congés payés à un salarié qui n’a rien demandé.

La réponse est négative.

En effet, il faut, selon l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, publiée le 25 mars 2020, qu’il existe pour cela des dispositions conventionnelles, un accord d'entreprise ou un accord de branche.

La convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d’immeuble, ne permet pas l’imposition de congés payés au salarié entre le 1er mai et le 31 octobre : l’article 25 prévoit que la date de départ en congé est fixée « avec le salarié ».

Un syndicat des copropriétaires ne peut mettre en place un accord d’entreprise en l’absence de représentants syndicaux[1].

 Il n’existe pas d’accord de branche sur le sujet.

Est-il possible de modifier unilatéralement une demande de congés payés ?

La question est de savoir s’il est possible d’imposer la modification des dates de congés payés à un salarié qui a déposé une demande.

La réponse est un peu plus nuancée, mais en majorité négative.

En effet, il faut, selon l’article précité, qu’il existe pour cela des dispositions conventionnelles, un accord d'entreprise ou un accord de branche pour pouvoir, dans la limite de six jours ouvrables, modifier les dates de prise de congés payés avec un préavis pouvant être réduit à un jour franc.

Tout comme pour l’imposition des congés, il n’existe ni disposition conventionnelle ni accord de branche permettant de décaler les dates de congés payés avec un préavis réduit.

En conséquence, il faut revenir au droit commun : l’article L. 3141-16 du Code du travail prévoit que l’employeur « ne peut, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, modifier l'ordre et les dates de départ moins d'un mois avant la date de départ prévue ».

L’épidémie de covid-19 est certes une circonstance exceptionnelle, mais la dérogation est alors limitée par les termes de l’ordonnance précitée.

Donc, en conclusion, il est possible de modifier des dates de congés déjà accordés, mais plus d’un mois avant le départ. En pratique, cette disposition est très peu utilisée en général pour les gardiens et employés d’immeubles et il est rappelé que l’employeur doit être en mesure de justifier que le décalage est nécessaire si le salarié conteste la décision. Dans la période actuelle, nous ne recommandons pas d’utiliser cette disposition.

Un salarié peut-il annuler les congés qu’il a posés ?

Il s’agit de la situation inverse : un salarié a posé des congés, l’employeur les lui a accordés, mais peu de temps avant le départ, le salarié se voit mal rester confiné chez lui ou partir après le 11 mai dans des conditions très incertaines et sûrement pas là où il avait prévu. Peut-il annuler ses congés ?

Aucune disposition particulière n’a été prise à ce sujet par rapport à l’épidémie de covid-19.

Autrement dit, la réponse est négative, le salarié ne peut pas décider unilatéralement d’annuler ses congés et de venir travailler. Il faut l’accord de l’employeur.

Compte tenu du contexte et des particularités des gardiens et employés d’immeubles, il est cependant selon nous déconseillé de vouloir obliger un salarié à prendre des congés dont il ne pourra pas profiter, sans un motif légitime[2].

Un salarié en arrêt de travail dérogatoire peut-il refuser de prendre des congés ?

Le salarié n’est pas malade, mais il est en arrêt de travail dérogatoire[3], car il est considéré comme une personne vulnérable ou devant garder ses enfants de moins de seize ans, dont les établissements scolaires sont fermés. Peut-il refuser de prendre ses congés pendant cette période ?

La réponse est identique aux réponses précédentes : l’employeur ne peut pas imposer des congés payés et le salarié ne peut pas imposer l’annulation des congés.

Si le salarié est en activité partielle (à compter du 1er mai), il ne peut évidemment pas être en même temps en congés payés, pas plus qu’il ne peut simultanément travailler.

Que vont devenir les congés acquis et non pris au 31 mai 2020 ?

La règle générale est qu’un salarié acquiert des droits à congés du 1er juin de l’année N-1 au 31 mai de l’année N, congés qu’il doit prendre entre le 1er juin de l’année N et le 31 mai de l’année N+1.

Par exemple, le salarié avec de l’ancienneté qui a acquis 34 jours ouvrables de congés au 31 mai 2019 doit les prendre jusqu’au 31 mai 2020, sinon ses droits sont forclos (il les perd, selon une jurisprudence constante dans la mesure où il n’a pas été empêché de les prendre[4]), sachant qu’il n’est alors pas admis d’indemniser des congés payés non pris par un salarié dont le contrat de travail n’est pas rompu.

Cela, est la règle habituelle. Or, la situation est inhabituelle et se pose la question du report des congés non pris[5]. Il convient de considérer en effet plusieurs aspects :

  1. L’article 25 de la convention collective impose une demande initiale de l’employeur pour préciser au salarié qu’il devra solder ses congés en mai. En cas de litige, la preuve de cette demande devra être rapportée, alors que les communications sont très difficiles actuellement.
  2. La finalité des congés payés étant de se reposer, il est difficile de considérer que c’est le cas d’un salarié confiné à domicile (surtout quand il s’agit d’un logement de fonction) tandis que les conditions d’un déconfinement progressif à partir du 11 mai restent encore très incertaines.
  3. Le remplacement d’un salarié en congé est actuellement fort difficile, les sociétés de nettoyage ayant déjà des difficultés à honorer leurs prestations contractuelles. Le coût du remplacement sera alors élevé.
  4. Contrairement à des entreprises qui vont devoir faire redémarrer leur activité en ayant besoin de leurs salariés présents à leurs postes, il ne peut guère être argumenté le besoin impérieux de la présence des gardiens et employés d’immeubles pour redémarrer une activité qui n’a pas cessé.
  5. Les syndicats de copropriétaires ne provisionnent pas dans les comptes les congés payés à prendre comme le font les entreprises.
  6. Il est probable qu’une prochaine ordonnance modifie temporairement le Code du travail afin d’organiser le report des congés payés non pris, sachant que la première ordonnance à propos des congés ne permet pas l’imposition unilatérale de congés par l’employeur sans restriction très protectrice pour le salarié.
  7. Il est douteux que les conseillers prud’homaux ne soient pas sensibles aux arguments d’un salarié à qui l’employeur aurait annulé le 31 mai ses droits résiduels à congés payés, dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire qui cessera (s’il n’est pas prolongé) le 24 mai.

Certes, le droit du travail en vigueur actuellement ne prévoit nul report des congés non pris au 31 mai et l’employeur pourrait fort bien décider de ne pas reporter le solde sur la période suivante.

Cependant, au vu des éléments exposés, nous ne conseillons pas ce choix pour les gardiens et employés d’immeubles, d’autant qu’il sera aisé de remplacer à un coût normal le salarié qui prendra ses congés ultérieurement. Certes, il cumulera plus de cinq semaines (hors ancienneté), mais il ne s’agit que d’un décalage de congés et non de la création de droits nouveaux.

Ainsi, à notre sens, il faut considérer que le salarié conserve le droit de se reposer plus tard et qu’il ne peut donc pas exiger d’échanger son repos contre une indemnisation en espèces. Ce report n’entraînera ainsi pas de surcoût au syndicat des copropriétaires, mais juste un report des coûts de remplacement qu’il aurait supporté.

L’ordonnance précitée posant comme limite à de nombreuses dérogations la date du 31 décembre 2020, il apparaît raisonnable selon nous de reporter les congés payés non pris au 31 mai 2020 sur la période suivante, avec une limite au 31 décembre 2020.

Il est cependant nécessaire de prévenir les salariés, en précisant toutefois que d’éventuelles décisions législatives ou réglementaires s’imposeraient.

Quels sont les droits à congés en cas d’arrêt dérogatoire ou d’activité partielle ?

L’arrêt de travail dérogatoire n’est pas du travail effectif : les droits à congés sont nuls.

L’activité partielle n’a pas d’impact sur l’acquisition des droits à congés payés.

 


[1] Il est ignoré le recours au référendum d’entreprise, non adapté.

[2] Voir les éléments relatifs au report des congés plus loin.

[3] Il sera placé en activité partielle à compter du 1er mai 2020.

[4] Aucune interdiction générale de prise de congé n’a été émise et très peu d’employeurs ont refusé des congés à leurs salariés.

[5] Il s’agit du reliquat de congés payés, après la prise des congés dits d’été.