Un sociologue parle des travaux d’économies d’énergie en copropriété
La revue « Chaud-Froid-Performance » a interrogé un docteur en sociologie que nous connaissons bien à l’ARC, et dont nous suivons les travaux, Gaëtan BRISEPIERRE.
Voici les principaux extraits de cette interview
Chaud-Froid-Performance : Qu'est-ce que les études d'un sociologue peuvent apporter aux professionnels du bâtiment ?
Gaétan Brisepierre : Je réalise des enquêtes de terrain auprès des particuliers et des professionnels pour comprendre les usages de l'énergie et les décisions de travaux ou d'équipement. Le plus simple est de donner des exemples : j'ai commencé il y a un peu moins de dix ans par m'intéresser aux propriétaires qui installaient des énergies renouvelables et j'ai montré le parcours du combattant qui était le leur. Plus récemment, dans le cadre de ma thèse (Thèse dirigée par l’anthropologue Dominique DESJEUX et financée par GDF-Suez), j'ai étudié des copropriétés franciliennes qui font des rénovations thermiques.
La difficulté de la prise de décision dans les copropriétés est identifiée par les pouvoirs publics au moins depuis le Grenelle. Le diagnostic a-t-il été correctement établi ?
Malheureusement, pour les copropriétés, le problème est un peu le même que pour le BBC : les idées reçues sur le sujet sont très ancrées. On entend souvent dire : dans les copropriétés, les problèmes sont le vote majorité ou le montant trop élevé des travaux - les gens ne peuvent pas les financer. C'est en partie vrai. Mais ces points amènent à sous-estimer un aspect essentiel : la dynamique de groupe. Dans mon enquête émerge un mode de décision à travers un «leader énergétique» : un des copropriétaires se convertit bénévolement en une sorte de chef de projet, le plus souvent à la place du syndic.
Pourquoi cette dynamique n'est-elle pas prise en charge par un professionnel ?
Celte sorte de délégation implicite se développe pour plusieurs raisons. En premier lieu, les syndics se considèrent comme des généralistes. Les gestionnaires ont ainsi souvent une formation de comptable, de juriste, mais pas d'ingénieur en bâtiment ou d'architecte. Les questions techniques ne sont donc pas faciles à gérer dans ce cadre, en second lieu - et c'est la raison la plus importante -, les syndics gagnent leur vie en signant des contrats de gestion plutôt qu'avec des travaux sur lesquels ils perçoivent un pourcentage. Se lancer dans les économies d'énergie, c'est, pour eux, prendre un risque sur leur rémunération. D’abord parce qu’ils ne savent jamais si les travaux vont être votés, et ensuite parce que les travaux d'économie d'énergie ne sont pas obligatoires. Les proposer, c'est risquer de se mettre à dos une partie de la copropriété et d'en perdre le contrat de gestion.
L'unité élémentaire, le logement individuel, ne serait-elle pas la bonne échelle pour agir ?
Oui, d'autant qu'il n'existe pas encore d'instrument de contrainte réglementaire qui obligerait - par exemple - à mettre les logements à un certain niveau énergétique à l'occasion de transactions immobilières. Or, voilà le type de mesure auquel il faudrait réfléchir. Pour le moment - et pour toute une série de raisons -le prix de l'énergie en France - contrairement à ce que l'on dit et peut, entendre - n'a pas, dans le budget des ménages, véritablement augmenté. Ce n'est que très récemment, depuis 2008, qu'un changement est apparu. Jusqu'à cette date, la part de l'énergie dans le budget a, en fait, diminué. Ce retournement n'est pas encore suffisamment sensible pour que pèse la contrainte économique.
D'autre part, on a trop souvent traduit la transition énergétique, lorsqu'il s'agit des habitants, par de supposés «petits gestes», des efforts à réaliser... C'est une supercherie. La transition énergétique va bien au-delà ; elle concerne avant tout un changement social de la même ampleur que les 30 Glorieuses. Elle est transversale, avec, en arrière-plan, des changements considérables, ne serait-ce que dans les métiers.
Comment les métiers changeront-ils?
Nous avons commencé à le voir en parlant des Syndics : doivent-ils développer un nouveau métier de l'accompagnement technique ? Un autre professionnel s'en chargera-l-il ? Est-on sur un modèle plus participatif ? Faut-il encourager les syndics bénévoles ? On ne sait pas encore vraiment. Ensuite tous les techniciens qui interviennent dans les logements sont confrontés à une demande de conseils sur les économies d'énergie. Il n'est plus seulement question qu'ils interviennent sur des appareils, les consommateurs donnent à ces professionnels une légitimité sur le conseil technique. Mais l'organisation de leur travail effectif ne leur permet pas vraiment de donner satisfaction. Les sociétés de services énergétiques ont fortement intérêt à faire évoluer leur business modèle pour y inclure cette demande de conseils techniques.
Vous faites partie de ceux qui considèrent que la réglementation thermique est vertueuse, mais qu'elle n'est pas suffisante...
Ma critique ne porte pas sur son existence, ni même sur la manière dont elle est conçue, mais sur le fait que dans le bâtiment, contrairement à d'autres secteurs, on se contente de respecter le minimum légal, même si l'objectif de la transition énergétique n'est pas atteint. C'est pour cette raison que de mon étude émerge la question de la performance.
S'agit-il d'une performance de laboratoire, conventionnelle et théorique - donc in vitro ? Dans ce cas, la réglementation est suffisante, même si elle génère des surconsommations. Où cherche-t-on une performance in vivo, sur facture ? Dans ce cas, la réglementation ne suffit pas. Il faut à ce moment s'intéresser à tout ce qui concerne la dynamique sociale, les interactions, les pratiques. En somme, s'intéresser aussi à l'humain et pas seulement à la technique. Cela ouvre la voie à un marché de la performance réelle intrinsèquement lié à un accompagnement effectif des habitants dans la durée.
Sur quelle base faire émerger ce marché des consommations réelles ?
Malheureusement, pour le moment, le sujet n'est abordé que lorsqu'il est question des surconsommations, ou parce que des habitants, des bailleurs sociaux se retournent contre les entreprises. Or, dans le plan ambitieux de construction de logements du Gouvernement, le principal levier mis en avant est celui du tiers investissement. Ce mécanisme consiste à rembourser l'entreprise qui a pris en charge l'investissement avec les économies d'énergie engendrées. Il met donc au centre du sujet la question de la performance réelle.
Cette question du tiers investisseur est-elle bien comprise des habitants ?
En fait, on n'en est même pas là ! Certaines associations ont dû se montrer très virulentes au moment, par exemple, de la signature du premier contrat de performance énergétique en copropriété. Car lier par contrat, pendant des années, des copropriétaires à un exploitant ne vaut pas toujours les travaux entrepris. La copropriété ne s'y retrouvait pas. Avec le tiers investissement, le risque ne repose donc plus entièrement sur le consommateur final, mais s'il s'agit de créer de nouveaux produits d'assurance pour couvrir le risque, le jeu aura été à somme nulle ! C'est ce qu'il faudrait éviter.
N'est-ce pas là encore une façon d'infantiliser les habitants ? De leur dire : «Vous n'en êtes pas capables, quelqu'un va le faire pour vous» !
Ces contrats de performance énergétique correspondent en fait à la structure obsolète des copropriétés, les gens ne prenant pas part à l'élaboration de la décision. Et c'est, malheureusement, sans doute, ce caractère infantilisant qui va faire le succès de ces contrats. Sauf que l'on se rend très bien compte que lorsque les copropriétés se lancent dans des rénovations sur le modèle du leader énergétique, il y a une forte prise de conscience sur ces questions. L'immeuble, dans son ensemble, est alors perçu comme un bien commun et les habitants s'autonomisent vis-à-vis des professionnels, notamment vis-à-vis du syndic. Et surtout, certains gestes individuels d'économie d'énergie vont acquérir un sens collectif. Or, si on ne se préoccupe pas de la façon dont les occupants vont prendre part au projet, il n'y a alors aucune raison qu'ils se soucient, eux, de mettre en cohérence leur vie quotidienne avec le projet. Sans qu'il soit possible de quantifier les gains, on sait en revanche que, sans démarche collective, il y a surconsommations.
Les occupants des bâtiments seraient donc disposés à changer leurs façons d'agir...
Ils le sont à condition d'accepter de payer du temps humain de travail. En cela réside le principal levier. Aujourd'hui, faire de l'efficacité énergétique, c'est installer des «bidules et des trucs» - pour le dire trivialement. Et pour cela, on dégage des solutions : des certificats d'économie d'énergie, des crédits d'impôt, du tiers financement... Mais dès qu'il s'agit de financer de l'accompagnement, c'est très difficile. Ça ne rentre pas dans le business modèle des professionnels. On installe des équipements aux occupants des logements sans passer du temps à expliquer pourquoi et comment ça fonctionne. On revient à la soi-disant question de l'apprentissage des «bons gestes» que l'on traite en distribuant des livrets. Sincèrement, je souhaite bien du courage à celui qui me donnera un livre pour me dire comment me comporter chez moi !
Il y a un manque de maturité du secteur du bâtiment sur ces questions. Voyons ce qui se fait déjà en entreprise en termes d'accompagnement au changement : le stade du livret de bonnes pratiques est dépassé depuis longtemps. Il existe aussi des gisements d'économie très importants en matière de régulation. Et je parle de régulation dans tous les sens du terme : la maintenance, le réglage, mais aussi la régulation sociale, c'est-à-dire l'intervention des habitants. C'est dans la participation que va se situer la révolution. La transition énergétique ne pourra donc pas se contenter d'un changement et d'une innovation sur le terrain technique. Car la dynamique des usages n'est pas d'emblée cohérente avec les projets des concepteurs.
Comment expliquer ce défaut d'adaptation du secteur du bâtiment ?
C'est peut-être parce que la livraison d'un bâtiment constitue une véritable ligne étanche entre deux systèmes d'acteurs. D'un côté l'univers de la maîtrise d'œuvre, des architectes, des bureaux d'études, des promoteurs ou des entreprises ; de l'autre les habitants, la maintenance, la gestion. Entre les deux, le mur de Berlin ! Donc, tous les projets des concepteurs, tout ce qu'ils ont projeté et qui se cristallise dans le bâtiment, les habitants n'y ont jamais accès. C'est à la pelle que je pourrais citer les exemples d'entretiens au cours desquels, au travers de mes questions, les habitants ont en fait appris quelque chose de fondamental sur leur domicile. Typiquement, le branchement des machines à laver sur l'eau chaude solaire ! L'habitude de livrer un objet technique sans en livrer les clefs aux utilisateurs est tenace et très nuisible.
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La difficulté de la prise de décision dans les copropriétés est identifiée par les pouvoirs publics au moins depuis le Grenelle. Le diagnostic a-t-il été correctement établi ? Malheureusement, pour les copropriétés, le problème est un peu le même que pour le BBC : les idées reçues sur le sujet sont très ancrées. On entend souvent dire : dans les copropriétés, les problèmes sont le vote
Chaud-Froid-Performance : Qu'est-ce que les études d'un sociologue peuvent apporter aux professionnels du bâtiment ?
Gaétan Brisepierre : Je réalise des enquêtes de terrain auprès des particuliers et des professionnels pour comprendre les usages de l'énergie et les décisions de travaux ou d'équipement. Le plus simple est de donner des exemples : j'ai commencé il y a un peu moins de dix ans par m'intéresser aux propriétaires qui installaient des énergies renouvelables et j'ai montré le parcours du combattant qui était le leur. Plus récemment, dans le cadre de ma thèse*, j'ai étudié des copropriétés franciliennes qui font des rénovations thermiques.
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