L’ARC expérimente depuis près de deux ans l’outil théâtre-forum dans les copropriétés en difficulté avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre et des collectivités.
Elle intervient au sein d’une équipe projet constituée de la sociologue Sylvaine le Garrec et de la Compagnie de théâtre NAJE.
Le théâtre-forum est un spectacle de théâtre interactif qui permet par le biais du jeu théâtral de faire émerger la parole et la réflexion « habitante » autour d’un thème choisi (ex : les difficultés du conseil syndical, le problème de la gestion des parties communes) dans le but de dépasser des problèmes et proposer des solutions concrètes.
L’ARC a eu l’occasion, au cours de l’année 2017/2018, de développer un projet sur le territoire de l’Etablissement Public Territorial Est Ensemble, à Bondy, sur la copropriété La Bruyère.
I. La Bruyère, une copropriété sous administration provisoire depuis près de 20 ans
La Bruyère est une copropriété construite en 1961 et composée de 4 bâtiments de 10 étages chacun, totalisant 176 logements et intégrée dans le périmètre des quartiers prioritaires du Contrat de Ville d’Est Ensemble.
Composée très majoritairement de propriétaires occupants (2/3 des logements), cette copropriété est confrontée depuis plusieurs années à la dégradation de son bâti et de son environnement ainsi qu’à de nombreuses incivilités.
Cette dégradation fait écho à une situation financière très fragile qui a conduit la copropriété à être placée sous administration provisoire depuis 2000.
Au vu de ces difficultés, la copropriété fait l’objet d’une intervention publique renforcée depuis 2009 (dont deux Plans de Sauvegarde successifs, le second étant encore en cours actuellement).
Outre les travaux, le second Plan de Sauvegarde vise à sortir la copropriété du régime de l’administration provisoire.
Cela implique de recréer un conseil syndical, convoquer à nouveau des assemblées générales, redonner aux copropriétaires leur droit de vote et de contrôle ainsi que de mandater un syndic professionnel.
L’objectif de l’action de l’ARC par le biais du théâtre-forum est donc, dans une perspective de 3 ans (fin du Plan de Sauvegarde), d’accompagner la remise en route de ces instances de gestion afin qu’elles soient en capacité d’assurer de manière autonome la gestion de la copropriété alors que les copropriétaires ont été « dépossédés » de leur pouvoir de décision depuis plusieurs années, au profit de l’administrateur.
II. Une action coordonnée avec les différents acteurs en présence
L’équipe du théâtre-forum s’est appuyée sur des relais susceptibles de contribuer à la mobilisation des copropriétaires et des résidents en amont et en aval de la représentation de théâtre-forum.
D’une part, l’opérateur, SOLiHA Est Parisien, met en œuvre et accompagne quatre animations collectives par an (en plus de son travail sur les volets techniques, financiers et de gestion de la copropriété).
D’autre part, depuis fin 2016, l’association de La Sauvegarde93, a été retenue au titre du Contrat de Ville pour réaliser une action d’accompagnement aux initiatives habitantes, venant ainsi en renfort de l’action de redressement de la copropriété.
Ainsi, la coordination du projet avec les actions menées par les différents partenaires sur le terrain et dans le cadre du plan de Sauvegarde a été primordiale pour favoriser la mobilisation collective des habitants et s’assurer de la participation du plus grand nombre au théâtre-forum.
Elle est aussi indispensable pour que les effets produits par le théâtre-forum en matière de capacités d’action puissent perdurer et s’inscrire dans le temps.
A titre d’exemple, les habitants ont commencé à s’impliquer dès la création des scénettes, reprenant le récit de leurs histoires vécues. C’était un temps particulièrement fort qui permet d’espérer atteindre les objectifs de mobilisation.
III. Un bilan positif
Ces actions de mobilisation coordonnées ont porté leurs fruits puisque c’est une trentaine de résidents de tous âges et niveaux de langue française qui s’est déplacée pour assister à la représentation.
L’intervention du centre social Georges Brassens pour l’animation à destination des enfants a également permis la participation de mamans, qui ne sont pas habituellement présentes dans les réunions concernant la copropriété.
La participation du public a été très active. Reconnaissant dans les scénettes les problèmes vécus au quotidien (ex : l’occupation des espaces communs), les copropriétaires sont très vite touchés par les situations jouées :
« C’était très touchant. Les comédiens étaient vraiment dans notre peau. Il n’y avait rien à ajouter, c’est exactement ce qui se passe ici à la Bruyère. Et c’était aussi une occasion de se réunir, c’est très rare. Je suis curieuse de savoir la suite, en tout cas nous, on est là ! »
En effet, pour les copropriétaires, voir restituer sur scène leur quotidien, c’est déjà le signe qu’ils ont été écoutés, que leur témoignage a de la valeur et que les difficultés qu’ils rencontrent sont reconnues.
Les scénettes donnent envie aux copropriétaires d’apporter des réponses aux situations de blocage présentées.
Sous l’action de la metteuse en scène, ils sont amenés à réfléchir à des actions qui sont à leur portée (ex : comment améliorer la circulation de l’information entre les copropriétaires).
Ici, il n’est pas question d’attendre des réponses de l’intervention publique, mais bien d’encourager les copropriétaires à retrouver leurs propres marges de manœuvres et à se ressaisir des actions qu’ils peuvent eux-mêmes mettre en œuvre.
Et après ?
Le travail de l’équipe sur place s’est poursuivi à la suite de la représentation afin de s’appuyer sur la mobilisation qu’avait suscitée le théâtre-forum.
Il vise à accompagner les copropriétaires dans la construction d’actions visant à instituer une nouvelle dynamique collective et à structurer le futur conseil syndical pendant la durée restante du Plan de Sauvegarde.
Nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire, une copropriété en difficulté ce n’est pas seulement un immeuble dégradé, c’est aussi une organisation sociale déstabilisée et un système de gouvernance et de gestion mis en péril par des déséquilibres financiers.
Ce sont donc bien la création d’une dynamique sociale collective et le renforcement des capacités d’action des résidents, aspects encore peu répandus au sein des interventions publiques sur les copropriétés en difficulté, qui permettent d’assurer un fonctionnement autonome de la copropriété et de ses instances de gestion une fois l’action publique arrivée à son terme.
C’est donc pour l’ARC tout l’enjeu du déploiement de cette action sur plus de copropriétés en difficulté.