Une nouveauté instaurée par l’Ordonnance du 7 mai 2019 : La possibilité de différer l’application du statut de la copropriété après la vente d’un logement social

28/06/2019 Dossiers conseils Conseil

La loi ELAN du 23 novembre 2018, qui a profondément réformé la gestion et la vente de logements sociaux, a autorisé le gouvernement à prendre une ordonnance pour établir certaines règles spécifiques, relatives à l’application du statut de la copropriété en cas de vente de logements sociaux (article 88). Celles-ci s’inscrivent dans la logique actuelle qui consiste à optimiser la gestion du parc immobilier social et faciliter la vente de logements sociaux.

Les mesures annoncées consistent à prévoir la possibilité de différer l’application du statut de la copropriété en cas de vente de logements sociaux et à déterminer les droits et obligations de l’organisme HLM et de l’acquéreur sur les parties communes, durant la période de différé.

C’est en application de la loi ELAN que l’ordonnance n° 2019-418 du 7 mai 2019 est prise.

Elle crée ainsi, dans le Code de la construction et de l’habitation, une sous-section intitulée « vente de logements à des personnes physiques avec application différée du statut de la copropriété » (articles L. 443-15-5-1 à L. 443-15-5-8).

Ce texte n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2020.

Un décret en Conseil d’Etat devra en préciser les modalités d’application, notamment en ce qui concerne la liste des charges auxquelles l’acquéreur contribuera en contrepartie de l’usage des parties communes et les modalités de leur paiement.

I. Le transfert de propriété de la quote-part des parties communes pourra être différé

En principe, le statut de la copropriété s’applique à un immeuble existant dès le premier transfert de propriété d’un lot (article 1-1 de la loi du 10 juillet 1965). Et la loi (article 1er) prévoit que la propriété d’une partie privative et celle d’une quote-part de parties communes sont indissociables.

Dans ces conditions, un acquéreur devient pleinement copropriétaire au moment de la vente du logement situé au sein d’une copropriété.

L’ordonnance instaure une dérogation à ce principe en cas de vente de logements sociaux. Elle crée un régime spécifique, mais qui n’est pas obligatoire : en cas de vente par un organisme HLM d’un lot dans un immeuble destiné à être soumis au régime de la copropriété, le transfert de propriété à l’acquéreur de sa quote-part des parties communes pourra désormais être différé.

Autrement dit, l’immeuble ne sera pleinement soumis au statut de la copropriété (loi du 10 juillet 1965) qu’à l’expiration de ce délai, au moment du transfert de propriété de la quote-part des parties communes à l’acquéreur.

L’ordonnance vient donc organiser une transition progressive, pour l’acquéreur, vers le statut de copropriétaire.

Ce dispositif est un outil seulement facultatif, mis à la disposition des organismes HLM dans le cadre de leur politique de vente de logements sociaux.

Il est prévu que la période de différé ne peut pas excéder dix ans à compter de la première vente opérée dans l’immeuble et que la date prévue pour ce transfert est commune à toutes les ventes qui auront lieu dans l’immeuble. On ne pourra donc pas prévoir de date différente pour chaque vente.

Ce n’est qu’après la date de transfert de la quote-part sur les parties communes que l’immeuble sera effectivement soumis au statut de la copropriété. A partir de ce moment :

  • le syndicat des copropriétaires est constitué ;
  • l’assemblée générale des copropriétaires est mise en place par l’organisme HLM ;
  • la copropriété doit faire l’objet d’une immatriculation au Registre des copropriétés.

L’ordonnance précise toutefois que restent applicables dès la conclusion de la vente, les dispositions relatives au règlement de copropriété et à l’état descriptif de division (article 8 de la loi de 1965), les règles de la loi Carrez (article 46 de cette loi) ainsi que les dispositions relatives aux documents à transmettre à l’acquéreur (article L. 721-2 du CCH).

Pour le reste, puisque le statut de la copropriété n’est pas applicable dès la vente, il est nécessaire de préciser quels sont alors les droits et obligations de l’organisme et de l’acquéreur, notamment en matière d’entretien et de paiement des charges liées aux parties communes, pendant la période de différé.

II. Les droits et obligations de l’organisme HLM et de l’acquéreur durant la période transitoire

Comme l’évoque le compte-rendu du Conseil des ministres du 7 mai 2019, le dispositif offre à l’acquéreur l’avantage, non seulement de prendre le temps de se familiariser avec le régime de la copropriété, mais également de le décharger, durant la période transitoire, des contraintes notamment financières qu’auraient impliquées sa propriété d’une quote-part des parties communes, puisque c’est l’organisme HLM qui assure la gestion des parties communes et éléments d’équipement communs et qui en assume la charge financière.

Mais, comme nous le verrons ci-dessous, le dispositif n’est pas sans lacunes.

Obligations de l’organisme HLM (article L. 443-15-5-3)

L’organisme HLM assure seul la gestion des parties communes de l’immeuble. A ce titre, il entretient les parties communes et équipements communs et veille à leur conservation.

Les dépenses liées à cette gestion lui incombent, y compris en ce qui concerne les travaux d’amélioration.

Il ne peut pas prendre de décision qui porte atteinte « à la valeur ou aux conditions de jouissance des parties communes et de celles de chacun des lots, telles qu'elles résultent du règlement de copropriété ».

Chaque année, il doit faire une présentation à tous les acquéreurs de la gestion des parties communes et des équipements communs, des travaux qu'il envisage d’y réaliser et leur coût prévisionnel.

Aucune ASL ni AFUL ne peut se voir déléguer la gestion des parties communes de l'immeuble.

Obligations de l’acquéreur (article L. 443-15-5-4)

En principe, l’acquéreur ne peut pas s’opposer à la réalisation de travaux rendus nécessaires par les circonstances, même à l’intérieur de son logement.

Il s’agit des travaux nécessaires à la conservation de l'immeuble, à la préservation de la santé et de la sécurité physique des occupants ou de mise en conformité avec les normes de salubrité et de sécurité et d'équipements qui découlent de l’article 1er de la loi du 12 juillet 1967 relative à l’amélioration de l’habitat.

Sont également concernés les travaux rendus obligatoires par une loi, un règlement ou un arrêté de police administrative relatif à la sécurité ou à la salubrité publique notifié à l'organisme HLM.

Le délai de prévenance concernant les travaux entraînant un accès aux logements est au minimum de huit jours avant le début de leur réalisation, sauf impératif nécessitant une intervention plus urgente.

Si l’exécution des travaux entraîne, pour un acquéreur, un préjudice pour trouble de jouissance grave (même temporaire), ou en raison de dégradations, il est en droit d’obtenir de l’organisme HLM le versement d’une indemnité.

Droits de l’acquéreur (article L. 443-15-5-5)

A compter de la vente, et jusqu'à ce qu'il devienne propriétaire de la quote-part des parties communes, l'acquéreur bénéficie d'un droit d'usage réel des parties communes et des équipements communs de l'immeuble.

Ce droit s’exerce moyennant une contribution, versée par l’acquéreur en contrepartie des services rendus liés à l’usage des parties communes et équipements communs, des dépenses d’entretien courant et menues réparations et des services rendus liés à l’usage des différents éléments du logement.

En cas de cession (volontaire ou forcée) de ses droits liés à la vente par l’acquéreur, ses droits et obligations énoncés ci-dessus sont transférés au cessionnaire.

III. La crainte légitime d’une bombe à retardement

Si un décret doit être pris en application de l’ordonnance pour préciser notamment les charges incombant à l’acquéreur et les modalités de paiement, il restera des lacunes importantes concernant ce texte.

En termes d’information de l’acquéreur

Si les dispositions de l’ordonnance sont présentées comme offrant l’avantage aux acquéreurs de logements sociaux de bénéficier d’une transition progressive vers le statut de copropriétaires, rien n’est prévu pour assurer une préparation à leur futur statut. L’ordonnance les laisse en quelque sorte seuls, isolés, face à cet « apprentissage ».

Aucune mesure n’est prise pour prévoir, par exemple, la tenue de réunions formelles entre acquéreurs pour anticiper l’avenir de la copropriété, ni même avec l’organisme HLM (en dehors éventuellement de la présentation annuelle de l’article L. 443-15-5-3, 4°), qui agit également seul durant la période transitoire pour ce qui relève de sa gestion des parties communes.

Une remarque à ce propos : étant donné que la date de passage au statut de la copropriété est commune à toutes les ventes, à savoir celle fixée lors de la première vente, le temps d’adaptation ne sera pas le même pour tous les acquéreurs.

Théoriquement, ce changement de régime peut donc se produire à N+10 ans pour un acquéreur et à N+1 mois pour un autre.

De la même manière, le texte n’impose aucune obligation à l’organisme HLM d’informer « au fil de l’eau » les acquéreurs des contrats en cours passés par lui, ni des modalités d’une telle information. Seule est prévue une présentation annuelle de sa gestion et des travaux prévus.

Un tel délai peut d’ailleurs paraître relativement long pour un acquéreur qui pourrait vouloir s’investir davantage dans la vie de l’immeuble, au sein duquel il vient d’y investir.

Mais, par définition, cette présentation annuelle consiste, du point de vue de l’acquéreur, en une simple prise d’acte ; elle ne consiste pas a priori en un dialogue entre organisme HLM et acquéreurs, susceptible de soulever des questionnements, voire des oppositions de la part des acquéreurs.

Cela est d’autant plus regrettable que l’acquéreur verse une contribution en contrepartie de son usage des parties communes et équipements communs.

En termes de diligence de l’organisme HLM et de gestion des parties communes

La question se pose inévitablement de savoir ce qu’il adviendra si les acquéreurs se trouvent face à un organisme HLM qui se montrerait peu diligent, simplement pressé de faire entrer de la trésorerie par des ventes massives de logements - qui ne présagent en rien de leur qualité, et repousserait constamment des travaux nécessaires sur les parties communes, jusqu’à transférer cette tare aux nouveaux copropriétaires. L’ordonnance est silencieuse à ce propos.

D’autre part, étant donné que le règlement de copropriété, quant à lui, est d’application immédiate (article L. 443-15-5du CCH), les modalités pour le faire respecter ne sont pas précisées.

Aucune précision non plus en ce qui concerne d’éventuelles atteintes aux parties communes : autorisations à donner à un acquéreur portant atteinte à ces parties communes, modalités de cession, modalités d’action en cas d’atteinte irrégulière…

Par ailleurs, la propriété de la quote-part des parties communes étant différée, un acquéreur non encore copropriétaire pourrait-il agir en cas de carence de l’organisme HLM, et sur quel fondement ?

On peut ajouter que l’ordonnance ne vient pas résoudre une problématique déjà existante, à savoir la « position dominante » de l’organisme HLM qui serait majoritaire dans la nouvelle copropriété.

En effet, les organismes HLM vendeurs ne sont pas soumis à l’alinéa 2 de l’article 22 I de la loi de 1965, qui prévoit une réduction des voix du copropriétaire majoritaire. Concrètement, dans pareil cas, l’organisme HLM agirait en assemblée générale selon son bon vouloir, sans véritable mise en œuvre de la démocratie que cette instance est censée promouvoir.

A propos du passage de relai dans la gestion des parties communes, entre l’organisme HLM et un syndic, la première assemblée générale sera déterminante car un certain nombre de résolutions devraient être votées pour enclencher le processus classique de la copropriété, notamment la désignation d’un syndic et la constitution d’un conseil syndical.

Pour assurer une bonne transition sans carence de syndic, la question reste de connaître les modalités de convocation de la première convocation à l’assemblée générale et la mise en concurrence des contrats de syndic (traditionnellement assurée par un conseil syndical dans une copropriété existante), qui devrait logiquement permettre au syndic choisi d’entrer en fonction dès la date prévue pour la mise en copropriété de l’immeuble.

D’autres questionnements pourraient être évoqués, tels que les modalités de mise en œuvre d’une hypothèque sur le bien vendu, lorsque l’acquéreur a souscrit un prêt.

Au final, si l’on cumule les difficultés probables d’entretien du bâti et des équipements communs, avec une période de transition et une information insuffisantes pour les acquéreurs, on pourrait supposer que le dispositif mis en place est une bombe à retardement ouvrant la perspective de futures copropriétés en difficulté.

Bien que présentées comme un moyen supplémentaire de faciliter l’accession à la propriété, on peut légitimement se demander si les mesures prises ne viennent pas tout simplement avantager des organismes HLM dont l’objectif serait de transmettre toutes les tares de leurs immeubles à des futurs copropriétaires peu avertis.

Cela dit, rien ne garantit à un organisme HLM d’y parvenir. En effet, le Rapport au Président avance que « l’objectif est, à terme, la vente de la totalité des logements de l’immeuble sans que l’organisme HLM ne soit un copropriétaire parmi les autres copropriétaires ».

Mais dans tous les cas où des organismes ne seraient pas parvenus à vendre l’intégralité des logements d’un immeuble, cet objectif ne sera pas atteint et il faudra bien que l’ensemble des copropriétaires agissent de concert dans l’intérêt de la collectivité, avec la difficulté supplémentaire évoquée ci-dessus en cas d’organisme HLM majoritaire.

Nous allons saisir le Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, afin de l’alerter sur les risques probables d’un tel dispositif et les mesures fortes qu’il serait souhaitable de prendre à l’égard des organismes HLM vendeurs.