L’article 71 de la loi ELAN promulguée le 23 novembre 2018 a modifié l’article R.241-7 du code de l’énergie (1) portant sur les prescriptions en matière d’individualisation des frais de chauffage édictées par la Loi de Transition Energétique pour une Croissance Verte (LTECV) d’août 2015.
Elle a donné lieu à la publication d’un décret et d’un arrêté qui modifient le contexte de mise en œuvre de cette opération qui reposait précédemment sur le décret n°2016-710 du 30 mai 2016 et l’arrêté du 30 mai 2016 (ayant modifié l’arrêté du 27 août 2012) relatif à la répartition des frais de chauffage dans les appartements collectifs.
Il s’agit :
- du décret n° 2019-496 du 22 mai 2019 (2) ;
- de l’arrêté du 6 septembre 2019 (3).
Quelles sont les modifications réglementaires apportées par ces nouveaux textes ?
I. Création d’un seuil de mise en œuvre de cette obligation.
Précédemment, les seuils à respecter étaient les suivants :
- si la consommation en chauffage de l’immeuble était supérieure à 120 kWh/m2SHAB*/an, la date de mise en œuvre devait avoir lieu au plus tard le 31 mars 2017 ;
- si la consommation en chauffage de l’immeuble était comprise entre 120 kWh/m2SHAB/an et 150 kWH/m2SHAB/an, la mise en service devait avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2017 ;
- si la consommation en chauffage de l’immeuble était inférieure à 120 kWh/m2SHAB/an, la mise en œuvre devait avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2019.
*m2SHAB (m2 Surface Habitable).
Comme on le constate, toutes les copropriétés, quel que soit leur niveau de consommation étaient concernées par l’obligation de mettre en œuvre ces mesures.
Les nouveaux textes réglementaires, qui s’appliquent dorénavant à tous les immeubles, y compris ceux qui auraient dû mettre en œuvre l’individualisation avant le 31 décembre 2017 :
- considèrent que la mise en place du dispositif est effective pour les copropriétés consommant plus de 120 kWh/m2SHAB/an est qui devaient mettre en œuvre l’individualisation avant le 31 décembre 2017 ;
- prescrivent un seuil d’obligation de 80 kWh/m2SHAB/an (hors production d’eau chaude sanitaire) et une échéance de mise en œuvre fixée au 25 octobre 2020.
Ce seuil correspond à une consommation globale (y compris l’eau chaude sanitaire) d’environ 115 kWh/m2SHAB/an ce qui le situe dans la partie supérieure de la classe énergétique C (91 à 150 kWh/m2SHAB/an) alors que l’on avait milité pour exclure les immeubles de la classe C de ce dispositif.
Ce seuil est extrêmement bas puisqu’il inclut 85 % des copropriétés dans le périmètre de cette obligation.
Les seuls immeubles échappant à cette obligation sont les copropriétés récentes qui ont une étiquette énergétique performante satisfaisant à minima aux prescriptions de la réglementation thermique de 2012.
L’article 4 de l’arrêté précise la méthode de calcul pour déterminer si la copropriété atteint ou non ce seuil. Pour cela, il est nécessaire de prendre en considération les consommations de combustible ou d’énergie (gaz, fioul, réseaux de chaleur, bois…) sur les trois dernières années, excluant les consommations d’eau chaude sanitaire.
Cette donnée est alors divisée par les m² de surface habitable (SHAB) de la copropriété figurant en principe dans le règlement de copropriété, mais cela reste exceptionnel. La SHAB est définie par l’article R 111-2 du Code de la construction et de l’habitation.
Dans le cadre de l’observatoire des charges de copropriété OSCAR, nous avons contourné cette absence d’informations en appliquant la formule suivante qui donne un résultat très fiable : SHAB = surface habitable de l’appartement / nombre de tantièmes charges générales.
Très curieusement, la formule ne prend pas en considération la rigueur de l’hiver de l’année, n’imposant pas de pondérer la consommation énergétique en fonction des Degrés Jours Unifiés (DJU), ce qui fausse la comparaison des variations entre deux exercices si par exemple les hivers n’ont pas eu la même rigueur.
On pourrait croire ainsi que les répartiteurs ont permis de faire des économies d’énergie alors que la variation résulte principalement d’un hiver moins rigoureux et donc d’un moindre besoin de chauffe !
II. Hiérarchisation des solutions envisageables
Le décret du 22 mai 2019 a défini une hiérarchie des solutions techniques à étudier :
- d’abord les compteurs d’énergie thermiques,
- ensuite les répartiteurs de frais de chauffage,
- puis une solution alternative.
a). Les compteurs d’énergie thermiques ne peuvent être installés que si le chauffage du logement est assuré par une boucle horizontale. Comme très peu de copropriétés (mis à part les immeubles récents) disposent de cette structure de chauffage, cela réduit fortement la portée technico-économique et donc le périmètre d’opportunité de cette solution.
b). Une majorité de logements est chauffée à partir de colonnes de chauffage verticales, ce qui exclut la rentabilité de la pose de compteurs d’énergie thermiques (un par colonne) et contraint à étudier la faisabilité et la rentabilité de la pose de répartiteurs de frais de chauffage. En effet, ceux-ci ne sont pas conformes aux exigences légales puisqu’ils ne mesurent pas une quantité de chaleur, comme le prescrivent les obligations légales, mais donnent uniquement un indice qui sert à répartir individuellement les charges totales. De plus, des études ont démontré le manque de fiabilité de ces équipements dont les données fournies sont fortement impactées par la situation du logement dans l’immeuble, son ensoleillement et son éventuel réchauffement par des appartements voisins (phénomène du vol de chaleur).
c). Et si la solution des répartiteurs de frais de chauffage n’est pas faisable techniquement et/ou rentable économiquement, il reste à étudier des solutions alternatives que l’arrêté ne décrit pas, malgré ce qu’annonce le décret, du fait qu’il n’y a pas actuellement de dispositifs alternatifs performants sur le marché !
III. Détermination de la rentabilité économique
L’avancée positive par rapport à la précédente réglementation est la possibilité de justifier l’absence de rentabilité économique avant de réaliser cette opération. Cela doit permettre de contrer en particulier les pratiques des syndics imposant aux copropriétés de voter en assemblée générale la pose des répartiteurs de frais de chauffage sans avoir au préalable étudié la faisabilité technique et surtout la rentabilité économique de l’opération.
L’arrêté prescrit la formule de calcul suivante :
« CGA (€) = I + A*9-B*10
« Avec :
« I : Coût d'installation en euros des CET ou, le cas échéant, des RFC et, le cas échéant, des robinets thermostatiques
« A : Coûts annuels en euros liés à la location, à l'entretien et à la relève des CET ou, le cas échéant, des RFC
« B : Gain en euros lié à la mise en place de CET ou, le cas échéant, de RFC et, le cas échéant, de robinets thermostatiques. B se calcule en multipliant la consommation en chauffage ou en refroidissement de l'immeuble, en kWh, par le coût de l'énergie utilisée, en euros par kWh, et le gain apporté par l'individualisation pris égal à 15 %.
« Lorsque le CGA est strictement supérieur à 0, l'absence de rentabilité est avérée.»
Nous réfutons la pertinence de cette formule qui ne prend en compte que :
- l’installation, la location, l’entretien et la relève, ainsi que les options des CET (Compteur d’Energie Thermique) ou des RFC (Répartiteur de Frais de Chauffage) sur 10 ans ;
- l’installation éventuelle de robinets thermostatiques.
En effet, nous contestons le fait qu’elle ne prenne pas en compte le désembouage, l’équilibrage et le remplacement des pompes de chauffage qui constituent des opérations indispensables et nécessaires à la réussite de l’individualisation des frais de chauffage. Il convient de souligner que ces opérations présentent un caractère exceptionnel et ne doivent pas être considérées comme des opérations d’entretien courantes de l’installation de chauffage.
Cette formule devrait également prendre en compte le coût de la pose des appareils d’individualisation de frais de chauffage alors que bien souvent il est inclus dans le contrat de location et d’entretien des équipements, ne permettant pas de l’identifier.
En effet, la plupart des copropriétés opte pour l’option location-entretien-relève ce qui se traduit dans la formule par une valeur 0 pour le paramètre I ce qui est totalement incohérent.
De plus, elle repose sur l’hypothèse que le gain apporté par l’individualisation des frais de chauffage est de 15 % (équivalant à une variation de 2°C de la température de chauffage ce qui est énorme), taux dont nous contestons la fiabilité et la robustesse (cf. communiqué de presse publié sur notre site à l’adresse suivante www.arc-copro.com/75w8). Précisons qu’il s’agit d’une valeur médiane ce qui veut dire que 50 % des immeubles devraient avoir des gains inférieurs à ce taux.
En particulier, l’étude pilotée par l’ADEME, qui a servi de base à la détermination de ce gain, montrait que l’individualisation n’était pas rentable pour la plupart des copropriétés de moins de 50 lots et pour celles qui ont une faible consommation, ce qui n’a pas été pris en compte dans l’arrêté qui vient d’être publié. Cela élimine de fait un grand nombre de copropriétés du périmètre d’opportunité et d’intérêt de ce dispositif.
IV. Généralisation de la télérelève des consommations
Le décret prescrit la mise en œuvre systématique de la télérelève des appareils à compter du 25 octobre 2020 et la généralisation de la télérelève à compter du 1er janvier 2027. Ces dispositions sont à appliquer également pour la relève des consommations d’eau chaude sanitaire.
Les copropriétés qui sont en train de remplacer leur système de relève des consommatios d’eau existant doivent donc opter dès maintenant pour une solution de télérelève.
V. Détermination de la consommation d’eau chaude sanitaire
Le décret prescrit une formule de détermination de la part des frais d’énerie entrant dans le prix de l’eau chaude lorsque les conditions de fourniture ne permettent pas de la connaître. Il propose d‘appliquer une estimation forfaitaire égale aux deux tiers au moins du prix total de l’eau chaude fournie par l’installation commune de l’immeuble.
VI. Recommandations de l’ARC
Malgré ces modifications apportées à la réglementation, nous maintenons nos précédentes recommandations :
- de refuser l’installation de répartiteurs pour l’individualisation des frais de chauffage du fait qu’elle ne constitue pas une solution réglementaire ( les répartiteurs ne pouvant être qualifiés d’instrument de comptage au même titre que les compteurs), fiable, rentable et équitable. En effet, la mise en place des répartiteurs, malgré la prise en compte d’une part fixe, va introduire des différences très importantes entre les logements en fonction de leur situation dans l’immeuble (rez-de-chaussée, sous combles, façade nord/sud…), mais aussi en fonction de leur occupation. A consommation globale égale, la mise en œuvre de ce dispositif va modifier significativement la répartition des charges entre copropriétaires.
- d’étudier la faisabilité technique et la rentabilité économique de la pose de compteurs d’énergie thermiques si la structure de la boucle de chauffage est horizontale.
Nous allons mettre à la disposition de nos adhérents un outil permettant de calculer les résultats de cette formule de calcul afin de donner les moyens aux responsables de copropriété (conseils syndicaux et syndics bénévoles) d’élaborer la note technico-économique prescrite par le décret à joindre à l’ordre du jour de l’assemblée générale qui va statuer sur la suite à donner à cette obligation.
Si des syndics souhaitent « passer en force » en inscrivant à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale la pose des répartiteurs sans qu’une étude d’opportunité n’ait été réalisée, nous vous recommandons d’exiger le report de cette inscription dans l’attente de la réalisation de cette étude et la production d’une note technico-économique qui sera jointe à l’ordre du jour d’une prochaine assemblée générale.
Une action conjointe avec l’USH (Union Sociale de l’Habitat) a été entreprise afin d’essayer de limiter, voire de neutraliser les dispositions prévues dans cet arrêté.
(1) article R.241-7 du Code de l’énergie : www.arc-copro.com/99cp
(2) décret du 22 mai 2019 : www.arc-copro.com/1ig8
(3) arrêté du 6 septembre 2019 : www.arc-copro.com/9tc7