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L’effet interruptif de forclusion bénéficie au copropriétaire non partie à l’instance, dès lors que les désordres invoqués ont une origine commune avec ceux poursuivis par le syndicat

Catégories Procédure
Juridiction
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 7 mai 2025
Référence
23-19.324
Observations

 

 

L’effet interruptif de forclusion de l’action du syndicat des copropriétaires au bénéfice des copropriétaires

L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 7 mai 2025 (n° 23-19.324) apporte une précision importante quant aux effets interruptifs de forclusion produits par l’action du syndicat des copropriétaires en matière de désordres affectant un immeuble.

Il s’agissait de savoir si un copropriétaire peut bénéficier de l’effet interruptif d’une action engagée par le syndicat, alors même qu’il n’est pas intervenu personnellement à l’instance.

Dans la présente affaire, il s’agissait d’une division d’un immeuble, où des travaux ont été confiés à différents entrepreneurs, dont un menuisier et un carreleur, tous deux assurés. Après la réception des travaux le 20 novembre 2000, l’immeuble a été soumis au régime de la copropriété.

La société civile immobilière Jean Jaurès (SCI), acquéreur d’un lot privatif le 22 octobre 2009, entreprit des travaux de rénovation révélant d’importants désordres. La gravité de ces désordres conduisit le maire de la commune à prendre un arrêté de péril en date du 22 janvier 2010.

À la suite de ces constats, une expertise judiciaire fut ordonnée en référé le 4 mars 2010, à la demande notamment du syndicat des copropriétaires et de la SCI. Se fondant sur les conclusions de l’expert, le syndicat engagea une action en justice à l’encontre des intervenants à l’acte de construire et de leurs assureurs.

Par jugement du 4 juillet 2017, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 28 janvier 2021, les sociétés MMA et MAAF furent condamnées à indemniser le syndicat pour les préjudices résultant des désordres affectant les parties communes.

En septembre 2021, la SCI agit à son tour pour ses préjudices privatifs, mais voit son action déclarée forclose par la cour d’appel le 1er juin 2023.

 

Principe retenu

 

 

I - Le refus de la limitation de l’effet interruptif aux seules parties à l’instance :

La cour d'appel avait déclaré irrecevable l'action de la société civile immobilière Jean Jaurès (la SCI) en raison de la forclusion, en considérant que la SCI n'était pas partie à la procédure initiée par le syndicat des copropriétaires.

Cette analyse reposait d’une part sur une lecture littérale des articles 1792-4-1 et 2241 du Code civil : l’effet interruptif de la demande en justice serait limité aux parties à l’instance. En l’absence d’intervention volontaire du copropriétaire à la procédure engagée par le syndicat, aucun effet interruptif ne pouvait, selon la cour d’appel, lui être opposable. En effet,  sur le plan procédural, l’effet interruptif de la prescription attaché à une assignation bénéficie en principe uniquement aux parties à cette procédure

Par ailleurs, la cour d’appel s’est fondée sur la notion de fin de non-recevoir définie par l’article 122 du Code de procédure civile, qui qualifie celle-ci comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.». Dans cette perspective, la cour d’appel a estimé que l’interruption ne pouvait produire d’effet qu’au profit des parties à l’instance initiale.

Il convient de noter que cette interprétation purement procédurale se heurte au principe d’indivisibilité des actions en réparation des désordres affectant un même ouvrage. En effet, il résulte de la jurisprudence antérieure, la reconnaissance d’une indivisibilité entre actions collectives du syndicat et actions individuelles des copropriétaires, dès lors que les dommages affectent à la fois parties communes et privatives (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 20 mars 2002, 99-11.745, Publié au bulletin). Ainsi la Cour de cassation ne fait que confirmer cette position.

II - L’effet interruptif de l’action étendu aux copropriétaires en cas de désordres d’origine commune :

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article 1792-4-1 du Code civil (délais de forclusion), l’article 2241 alinéa 1er (effet interruptif de la demande en justice) et l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 (qualité du syndicat pour agir en justice).

Cette dernière a jugé que l'effet interruptif de forclusion attaché à l'assignation délivrée par un syndicat des copropriétaires, qui agit en réparation d'un dommage affectant les parties communes, bénéficie également au copropriétaire agissant en réparation d'un dommage affectant ses parties privatives lorsque ces dommages procèdent d'un même désordre.

Elle estime que la cour d'appel n'avait pas recherché si les dommages dont la SCI sollicitait la réparation, trouvaient leur origine dans les mêmes désordres que ceux ayant affecté les parties communes. En conséquence, cette dernière a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée.

Dans le présent arrêt, l’interprétation retenue semble a priori éviter un morcellement des contentieux. Cette approche matérielle, détachée de la qualité de partie, vise à garantir une cohérence dans la réparation des dommages affectant un même ouvrage. Toutefois, elle introduit une forme d’incertitude dans l’anticipation procédurale.

Certes, dans de nombreux cas, les expertises judiciaires permettent de déterminer l’origine commune de désordres affectant à la fois les parties communes et des parties privatives. Cependant, cette détermination intervient généralement postérieurement à l’engagement de l’action et parfois après l’expiration du délai de dix ans prévu par l’article 1792-4-1 du code civil.

Dès lors, la sécurité juridique des constructeurs et de leurs assureurs s’en trouve affaiblie : ceux-ci ne peuvent plus apprécier de manière certaine, au moment de l’assignation, si des tiers non appelés dans l’instance pourraient ultérieurement se prévaloir de l’effet interruptif produit.

En somme si cette décision n’est pas nouvelle en droit de la construction, elle appelle néanmoins à une vigilance renforcée quant à l’appréciation des effets interruptifs, laissant subsister des questionnements sur les modalités pratiques de mise en œuvre.

 

 

Charges spéciales et règlement de copropriété : rappel des conditions de validité de la répartition

Catégories Procédure
Date de parution de l'article de loi
Juridiction
Cour d'appel de Paris - Pôle 4 - Chambre 2
Référence
n° 22/20265
Observations

application stricte de l'article 6-4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965

Principe retenu

rappel sur la nécessaire mise en conformité du règlement de copropriété avec les dispositions de la loi ELAN relatives aux mentions des parties communes spéciales

Analyse de la décision

 

La loi ELAN  n° 2018-1021, entrée en vigueur le 23 novembre 2018, a introduit une obligation pour les syndicats de copropriétaires de mise à jour de leurs règlements de copropriété.

Cette dernière visait à intégrer au sein de ces derniers des éléments essentiels nouveaux, absents de la rédaction d’origine. En effet, nombreux sont les règlements, rédigés il y a plusieurs années ne reflètent plus la réalité actuelle de la copropriété.

Le présent arrêt permet de mettre en lumière les conséquences significatives que peuvent entraîner l’absence de cette mise à jour.

I - L’importance de la mention expresse des parties communes spéciales dans le règlement de copropriété :

Dans la présente affaire, le règlement de copropriété ne comportait pas de parties communes spéciales, bien qu'il prévoyait une répartition par bâtiment de certaines dépenses, dont notamment les travaux d'entretien et réparation de toute nature.

Ce dernier indiquait : "les dépenses qui s'appliqueront exclusivement à un bâtiment, seront réparties uniquement entre les copropriétaires de ces bâtiments respectifs et spécialement les travaux d'entretien et réparation de toute nature". Cependant, cette stipulation particulière ne s'applique pas aux travaux de ravalement des façades qui sont expressément visés dans le règlement de copropriété, dans les charges communes générales.

Par une assemblée générale des copropriétaires du 4 septembre 2018, le syndicat des copropriétaires a adopté une résolution concernant des travaux de ravalement des façades sur cour, avec une répartition des charges en charges communes générales.

La copropriétaire (société Hôtel Haussmann) a refusé de contribuer financièrement au ravalement au motif que les travaux concernaient un autre bâtiment de sa copropriété.

À la suite d’une sommation de payer demeurée infructueuse, le syndicat des copropriétaires a assigné la société Haussmann au titre des charges de copropriété impayées.

Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 22 septembre 2022, a condamné cette dernière au paiement des charges échues et impayées et a rejeté la demande d’annulation de la résolution votée en assemblée générale.

La société copropriétaire contestant tant la validité de la résolution litigieuse que sa condamnation au paiement des charges, a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris.

La Cour d'appel de Paris par un arrêt du 12 mars 2025, n° 22/20265, valide la décision de première instance.  

Se fondant sur le règlement de copropriété elle considère que les travaux de ravalement des façades sur cour de l’immeuble, votés par l’assemblée générale du 4 septembre 2018, ont valablement été répartis entre tous les lots de l’immeuble, en charges communes générales, ce qui inclut les lots appartenant à la société Hôtel Haussmann Saint Augustin, en proportion des tantièmes généraux de chaque lot.

Elle prend également le soin de rappeler l’importance du respect des conditions pour contester une décision en assemblée générale, à savoir le respect du délai légal de contestation ainsi que la qualité à agir.

Ici, l’assemblée n’a pas été contestée dans le délai légal de deux mois, de sorte qu'elle est désormais définitive et s'impose à tous les copropriétaires.

Par ailleurs, il résulte du procès-verbal de cette assemblée que la société copropriétaire avait voté en faveur de la résolution critiquée, de sorte qu'elle ne revêt aucunement la qualité de copropriétaire opposant au sens de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965.

II - Le rappel de la nécessaire mise à jour du règlement de copropriété :

Afin de mieux saisir les conséquences de cet arrêt, il convient de rappeler les règles législatives applicables :

D’une part, selon l'article 10 de la Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, les copropriétaires doivent participer aux charges en fonction de l'utilité objective que les services collectifs et les éléments d'équipement commun présentent pour chaque lot. La répartition des charges est fixée par le règlement de copropriété, qui détermine la quote-part afférente à chaque lot.

La création de parties communes spéciales, affectées à l'usage ou à l'utilité de plusieurs copropriétaires, est régie par l'article 6-2 de la Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite loi ELAN. Cet article dispose que la création de parties communes spéciales est indissociable de l'établissement de charges spéciales à chacune d'entre elles. Seuls les copropriétaires à l'usage ou à l'utilité desquels sont affectées ces parties communes prennent part au vote des décisions afférentes.

D’autre part, l'article 6-4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, « L'existence des parties communes spéciales et de celles à jouissance privative est subordonnée à leur mention expresse dans le règlement de copropriété ».

En l’espèce, le raisonnement de la Cour se justifie par une interprétation stricte de l’article 6-4 précité, du règlement de copropriété en l'absence de mention expresse des parties communes spéciales, ainsi que la désignation des dépenses dans l'énoncé des parties communes générales.

Plus précisément, elle rappelle que les murs de façades ainsi que les ornements extérieurs des façades, constituent au terme du règlement de copropriété, des parties communes générales aux deux bâtiments. Et il ne peut y avoir de charges spéciales sans parties communes spéciales.

En somme, cet arrêt constitue un avertissement pour les copropriétés qui n’ont pas encore actualisé leur règlement afin d’identifier formellement les parties communes spéciales, comme l’exige désormais l’article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965.

À défaut, elles s’exposent aux mêmes écueils juridiques que ceux constatés dans cet arrêt.

Il appartient dès lors à chaque syndicat des copropriétaires d’examiner avec vigilance les stipulations de son règlement afin de prévenir tout contentieux sur la répartition des charges.